Fierté n Il y avait très peu d'immeubles à loyers modérés construits à Tlemcen avant l'indépendance. Normal. Chaque famille se devait d'avoir son propre chez-soi, elle s'en faisait un point d'honneur. C'était indispensable à l'époque pour compter dans une société plutôt fermée. Ce petit chez-soi, était en général une maison bien modeste, avec un patio à l'ancienne, une courette pour sécher le grain et laver le linge et deux ou trois petites pièces où s'entassaient en général le père, la mère, les enfants, la belle-mère... Dans les demeures un peu plus «classe», on trouvait toujours un pommier ou un cerisier planté dans la cour aussi bien pour ses fruits que pour son ombre bienfaitrice. C'est tellement chic un cerisier en fleurs qu'il donne l'impression d'habiter un palais. Et comme il n'y avait pas de réfrigérateur dans les foyers, ou très peu, tous les légumes étaient pratiquement suspendus aux murs tels que les oignons ou les tomates séchées, l'ail et parfois même un fruit hors saison tel que le melon. Ce n'était pas très esthétique, mais c'était nécessaire. Pour les repas du ramadan, par exemple, tout était fait à la maison et à la main, le pain, le petit-lait, les gâteaux traditionnels et même le jus de fruit. Les femmes se surpassaient. Seule la z'labia était achetée. C'est avec une bonne hrira chaude et onctueuse, copiée aux maîtresses de maison de Fès, que les Tlemcéniens rompaient généralement le jeûne non sans avoir avalé auparavant trois dattes et une gorgée de leben. Dans ces contrées, on ne badine pas avec la sunna. Le menu, ici, est, lui aussi, largement inspiré de ce qui se fait de l'autre côté de la frontière à quelques nuances près. Les longues soirées du ramadan se prolongeaient invariablement jusqu'aux premières lueurs de l'aube, jusqu'à l'appel du muezzin, quand le ciel commence à rougeoyer comme sous l'effet d'un fer rouge. Dans les familles les plus aisées et les plus nanties, il était de bon ton d'inviter dans les salons lambrissés de leur villa un poète ou mieux un musicien pour animer une «sahra» strictement privée. Et comme le hawzi était indémodable, on fera souvent appel à cheikh Sari, le maître du genre et dont le talent dépasse aujourd'hui les frontières. Si les hommes dans leur ensemble quittaient la maison sitôt la dernière bouchée du f'tour avalée pour aller planter leur «chapiteau» dans les cafés du centre, les femmes, elles, ont d'autres projets, d'autres engagements. Elles s'invitent mutuellement soit pour écouter des poèmes du genre «melhoun» soit pour écouter une vieille forme d'astrologie, le «tahouef» toujours déclamée par une femme. L'astrologie n'étant pas une science exacte, de nombreuses convives se contentaient d'écouter et de hocher la tête non sans apprécier, au détour d'une phrase ou d'une image, la sagesse profonde du poème. Il n'y a plus de «sahar» comme au siècle dernier qui venait tambouriner à votre porte, au beau milieu de la nuit profonde pour vous réveiller et vous inviter à prendre votre s'hour. Aujourd'hui, le charme est rompu, c'est chacun pour soi et le réveil matin pour tous.