En cette année 1901, Harry Mac Lean, vingt-cinq ans, lieutenant dans l'armée de Sa Gracieuse Majesté britannique, devrait normalement se trouver soit en Angleterre, soit dans un des nombreux dominions de la Couronne. Mais non, il est en poste au Maroc, à Fès, où il est même devenu à titre officieux conseiller militaire du sultan Abdul Aziz. Théoriquement, l'Angleterre n'a rien à faire dans ce pays, qui appartient à la sphère d'influence française, et où essaient de s'introduire également l'Espagne et l'Allemagne, mais les Britanniques aiment bien avoir un œil partout. C'est Harry Mac Lean qui a été chargé de cette délicate mission. Et pour cela, ce grand jeune homme de plus d'un mètre quatre-vingts, aux yeux bleus, à la chevelure d'un roux flamboyant et au visage parsemé de taches de rousseur, a eu une sorte de trait de génie. Il a renoncé à l'uniforme et il s'est habillé du costume de son pays. On peut imaginer l'impression qu'a causée son arrivée à Fès, en jupette à carreaux, chaussettes de laine montantes et béret posé sur la tête ! Mais passée la réaction de surprise et de réprobation, Harry Mac Lean est devenu une figure à la cour du sultan, puis, du fait qu'il avait pris soin d'apprendre l'arabe et de se mettre au courant des réalités du pays, un conseiller écouté. Bien entendu, sa présence n'a pas suscité que des réactions favorables. Les nombreux Français qui gravitent autour du sultan ont tout fait pour diminuer son influence, jusqu'à présent sans résultat. Ce grand gaillard accoutré d'une manière si pittoresque et au sourire désarmant de sympathie plaît à tout le monde et, en premier lieu, au souverain. Or, en ce début de l'année 1901, ce dernier a un grave sujet de préoccupation, concernant le Rif, la province tout au nord du pays, autour de Tanger et de Tétouan, cette avancée de terre qui fait face au détroit de Gibraltar. Depuis un moment déjà, Raïssouli, un redoutable bandit, écume la région avec ses hommes. La chose, en soi, n'est pas nouvelle, cette région montagneuse ayant toujours été sujette à l'insécurité. Mais l'audace de Raïssouli dépasse ce qui s'était vu jusqu'à présent. Il vient de se faire nommer chérif de la ville saint Chaouen, chérif, c'est-à-dire chef temporel et religieux. En même temps, il s'est fait appeler «sultan des montagnes» et le coupeur de têtes qu'il était, s'est métamorphosé en souverain, avec une cour et même un harem de quarante-huit épouses gardé par des gamins de dix et onze ans ! C'est plus que n'en peut tolérer le sultan véritable, d'autant que Raïssouli s'est mis à faire de la politique. Il l'accuse, lui, Abdul Aziz, d'être trop favorable aux puissances occidentales et se présente comme le véritable défenseur du pays et des croyants. Le problème est délicat, aussi le sultan a-t-il mis au point un stratagème. Il va envoyer Harry Mac Lean discuter avec Raïssouli. Il compte sur son aspect pittoresque pour plaire au bandit et, tandis qu'ils seront occupés à palabrer, il attaquera par surprise, avec les troupes qu'il a sur place. Mais cela, il préfère ne pas le dire à son conseiller militaire. Il vaut mieux que celui-ci ne soit au courant de rien, il aura l'air plus sincère. Il le fait donc venir et lui déclare : — Tu vas te rendre tout seul dans la montagne jusqu'à la ville de Tazrout où Raïssouli a établi son repaire. Tu lui porteras la lettre que je vais faire écrire par mon secrétaire. Ce sont des propositions de paix. — Quelles propositions, Majesté ? — Je lui accorde mon pardon et la jouissance de tout ce qu'il a pris dans ses pillages. A mon avis, il acceptera. (à suivre...)