Résumé de la 2e partie n Le père de Zohra ne sachant comment réagir, décide finalement de la garder jusqu'à son accouchement puis de la marier dans une contrée éloignée... Il pourrait encore ainsi, de temps en temps, revoir le visage chéri de l'enfant qui avait accaparé toutes ses tendresses. Zohra fut donc enfermée dans la maison, sous une garde sévère, mais qui n'empêcha pas le bruit de sa honte de se répandre au dehors et les bonnes langues du village de marcher leur train. Ni les menaces ni les caresses ne purent lui faire avouer le nom de son amant. Si Mohamed et sa femme ne pouvaient s'expliquer comment il avait pu pénétrer auprès de leur fille. Cette dernière, comme toutes les femmes de marabout, était cloîtrée depuis sa puberté ; jamais la mère ne l'avait quittée sans la laisser à la garde de son père, de son frère, ou de l'esclave noir Kara, magnifique Soudanais d'une trentaine d'an-nées. Le dévouement à toute épreuve, la force colossale du Noir devaient éloigner toute idée de violence de la part d'un séducteur. Par quelle ruse avait-il réussi à se glisser au milieu de cette surveillance incessante ? Ah ! s'ils avaient pu s'emparer du suborneur, connaître ce secret, la douleur des marabouts eût été moindre. Ils auraient lavé dans le sang le déshonneur de leur famille et les plus cruels supplices auraient été trop doux pour le misérable. Mais Zohra écoutait dans un silence farouche les menaces comme les supplications de tous les siens, sans vouloir se départir un instant de la résolution qu'elle avait prise de taire le nom de l'homme aimé. Les jours passèrent et la pauvre Zohra arriva à l'heure de la délivrance. Si Mohamed, après avoir renvoyé son fils aîné Si Amar et son esclave aux champs, resta seul avec sa vieille épouse ; il attendait impassible à la porte de la chambre que sa femme vînt lui remettre le nouveau-né. Celui-ci était condamné à mort, sans hésitation : il devait, suivant la coutume, être enterré vivant au milieu de la cour. Avant son départ, Kara avait dû creuser la fosse. Les cris de la patiente s'assoupirent et bientôt Si Mohamed reçut des mains de sa femme, enveloppé d'un mauvais chiffon, un magnifique enfant, se débattant et criant. Le marabout l'emporta et arrivé dans la cour, il voulut voir au soleil le fruit de la honte. Horreur ! l'enfant était noir ! Le marabout tomba à la renverse, laissant échapper l'enfant qui se mit à hurler. Il faut connaître le souverain mépris du libre Berbère pour l'esclave nègre, pour comprendre quel coup l'illustre marabout avait ressenti. Les Kabyles d'avant la conquête française avaient bien quelques esclaves achetés à Biskra ou Boussaâda, mais il était rare de voir un blanc faire entrer dans son lit une négresse. Jamais, en tout cas, elle n'avait le titre même de maîtresse, encore moins celui d'épouse inférieure, comme chez les Arabes. Les caprices du maître, qu'elle devait subir, étaient peu fréquents et réprouvés par l'opinion publique. Mais un nègre épousant une blanche ! A suivre Récit et légendes de la grande Kabylie par B. Yabès