Problème n Comment l'administration occupante de notre pays gérait-elle les départs annuels de milliers de pèlerins dont elle redoutait le contact avec l'extérieur ? La France coloniale n'avait trouvé que deux solutions : primo, trier sur le volet les candidats aux Lieux Saints de l'Islam et ne retenir que les plus inoffensifs politiquement, c'est-à-dire ceux qui ne représentaient aucun danger pour sa réputation. Secundo, les encadrer à leur départ et surtout pendant leur séjour par des supplétifs acquis à sa cause et capables de porter la contradiction à ses détracteurs au Moyen-Orient. Elle avait trouvé un autre moyen, quand elle ne pouvait pas faire autrement, annuler purement et simplement le hadj sous prétexte qu'il n'y avait pas assez de candidats pour affréter des navires ! Cela est arrivé au moins deux fois. Bien sûr, tous les «indigènes» condamnés par les tribunaux pour quelque motif que ce soit et surtout pour «propagande politique» n'avaient aucune chance de partir à La Mecque. Selon le chercheur Hani Abdelkader, qui a compulsé d'énormes archives dans ce sens, en 1912 le pèlerinage fut interdit par l'administration française qui récidivera en 1921. En 1922, seuls 120 musulmans avaient été autorisés, à effectuer le pèlerinage. Après avoir longuement tâtonné pour contrôler et réguler le flux des hadjis qui deviennent incontrôlables une fois en terre sainte, la France créera une espèce de comité des habous ou société des habous en 1917 avec à sa tête un homme natif de Sidi Bel-Abbes, Si Kaddour Ben Djabril. «Cette société, expliquera M. Hani, était patronnée par le président de la République et les quatre maréchaux de France. Elle fera l'acquisition de deux hôtels, l'un à Médine et l'autre à La Mecque». La question qui vient tout de suite à l'esprit est bien sûr que sont devenus ces biens qui appartiennent de fait à notre pays ? Qu'en a-t-on fait depuis et surtout en existe-t-il une trace ? Mais pour avoir une idée aussi exacte que possible de ce genre de pèlerinage du début de la colonisation française, le chercheur Hani Abdelkader se réfère à un ouvrage inconnu jusque-là et écrit en 1925 par un officier de l'armée d'origine algérienne, le lieutenant-colonel Chérif Cadi. Voici globalement ce qu'il écrit : «En cette année 1931, c'est le commissaire du gouvernement général qui est chargé d'accompagner les pèlerins algériens et c'est l'armateur Shiffino qui a obtenu l'adjudication du pèlerinage avec son vapeur «Phoygie». Le bateau, qui a à son bord 14 Marocains, a embarqué le 9 mars 200 pèlerins à Oran, puis 159 à Alger avec lesquels viendront s'ajouter 111 du Constantinois, 97 du territoire du Sud et 4 Hedjeziens. Au total 572 dont 49 femmes. Après des escales à Port-Saïd et Suez, le vapeur arrive enfin aux Lieux Saints de l'Islam et un feu d'artifice est tiré pour fêter l'événement. Après le rituel du hadj, c'est le retour en Algérie. 11 Algériens manquent, 3 sont décédés, 7 sont restés volontairement en Arabie saoudite et un autre s'est enfui vers Jérusalem. Le commissaire a noté que les Algériens ont eu à se défendre contre les musulmans étrangers qui les plaignaient d'être en pays occupé et soumis à une surveillance continuelle et tracassière. Il a également noté que 5 à 6 Algériens étaient les invités du roi à Médine, une ville qui comptait une grande colonie d'Algériens tous originaires de Biskra ou de Touggourt et parmi eux un ancien conseiller général qui a énormément contribué à la construciton d'une usine électrique qui illumine la ville de Médine.» Une chose est sûre : de nombreux hadjis profiteront de leur séjour aux Lieux Saints de l'Islam pour s'établir à La Mecque, à Médine, à Djeddah et même en Turquie et en Palestine. Et leurs accompagnateurs officiels n'y pourront rien.