Scène n L'avocat Jacques Vergès a troqué sa robe d'avocat et quitté momentanément la barre des tribunaux pour évoluer sur les planches d'un théâtre parisien. L'intitulé du spectacle qu'il présente est Serial plaideur, un grand moment de dialogue et de réflexion sur la justice, le rôle et le métier d'avocat et les causes défendues. Me Vergès, dès la levée de rideau, son légendaire cigare entre les doigts, donne le ton et plante le décor. Il s'adresse au public, comme il le fait devant un juge. «Mesdames et messieurs, je suis sûr que certains d'entre vous, me voyant ici, sur une scène de théâtre, se demandent si la place d'un avocat n'est pas plutôt au Palais de justice, opposant ainsi la gravité supposée d'un procès à la prétendue frivolité d'un spectacle.» L'avocat transforme, l'espace d'une heure et demie, la scène en un véritable tribunal pour parler de sa passion de défendre des causes «indéfendables» et de sa profession d'avocat qui «n'est pas seulement l'exercice d'une technique, mais aussi et avant tout une manière d'assumer l'humanité de tous les hommes coupables ou non». Jacques Vergès explique que «dans un procès, un drame est en train de s'accomplir sous nos yeux, un duel entre l'accusation et la défense. L'avocat et le procureur racontent deux histoires non pas vraies, mais vraisemblables. Et quand le dernier écho de l'éloquence s'est perdu dans les prétoires, il s'agit moins de dire le droit que de proclamer le vainqueur». La pièce est donc un long monologue où Jacques Vergès n'est autre que lui-même. L'homme s'exprime sur son expérience de défenseur, un défenseur envers et contre tous. Car ce en quoi croit cet homme, c'est la présomption d'innocence et surtout la volonté d'expliquer les cheminements de ces hommes et femmes qu'il défend. Vergès développe son opinion de la justice, ou plus largement de la chose judiciaire, à travers trois exemples concrets. Il s'agit d'Antigone, de Jeanne d'Arc et de Julien Sorel, qu'il décrit comme une tragédie, un procès et un roman. Et il prend comme exemple contemporain, sa propre expérience de défenseur lors de la Guerre de libération nationale, et notamment son combat pour Djamila Bouhired. Me Vergès a longuement développé le concept de «défense de rupture», une tactique qu'il a utilisée, en pleine bataille d'Alger, lorsqu'il était appelé à défendre des moudjahidate lors du procès dit «des poseuses de bombes d'Alger». «Jusque-là, les avocats qui plaidaient devant les tribunaux militaires, tentaient d'émouvoir vainement les juges, invoquant la sincérité de leurs clients, ou les doutes qui pouvaient subsister. J'ai compris que c'était là un dialogue impossible parce que les valeurs des uns et des autres étaient inconciliables.» La démarche, explique-t-il, est simple : «Le tribunal militaire entendait faire le procès de ce qu'il appelait le terrorisme aveugle, qui s'attaque même aux civils. La défense entendait, quant à elle, faire le procès de la terreur, de la torture et de la justice militaire, et attirer l'attention du monde par tous les moyens à sa disposition.» Il a alors parlé longuement du procès de Djamila Bouhired, sa cliente qui deviendra son épouse.