Inspiration Où trouve-t-on la bonne sève pour qu?un livre de 250 pages réunisse les réminiscences d?une trentaine de personnages que rien, pourtant, ne prédisposait à être côte à côte ni politiquement ni humainement ? Hamid Grine(*), l?auteur du pétillant Onze champions dans un miroir, a, d?un subtil style narratif, trouvé l?astuce : raconter, au c?ur même de la tourmente, par son dernier-né, Comme des ombres furtives. Raconter pour témoigner en évitant tout procès d?intention. Il commence par un épouvantail, comme il se plaît à le dépeindre : Houari Boumediene, «le président aimé par tous les Algériens» et dont la révolution agraire a tué, par arrêt de c?ur, un oncle «exproprié» de sa terre comme Tahar Djaout de sa plume limpide par des balles assassines, des années plus tard. Chadli Ben- djedid vient, quelques pages plus loin, assener à la face d?un des héros du Mondial 1982 qui lui avouait n?avoir pas joué à son poste habituel, que « moi aussi je ne suis pas à mon poste et pourtant je fais comme si?». Hamid Grine retrace par la suite les bribes des «trois vies de Abdelaziz Bouteflika» en attendant? la quatrième, celle que seul lui, aura choisi. Kasdi Merbah, abattu car «il constituait une menace pour certains clans du pouvoir» revient post mortem nous rappeler une scène de la trame noire et tragique dont Mouloud Hamrouche ne s?est pas désintéressé avec «sa douceur romantique au milieu d?une faune de prédateurs», avant que le duo Abassi-Benhadj «démons pour les démocrates, anges pour les islamistes» n?arrive à s?engouffrer dans cette pléthore de quidams qui font et défont l?Algérie sans oublier son altesse, la belle Lalla Hasna «fille de roi et s?ur de roi», que l?histoire tumultueuse de son pays avec l?Algérie ne pourrait laisser indifférente, ou André Gide qui aurait bien aimé se repaître avec jubilation extrême des petits bergers de Biskra, ou alors enfin Kheiredine (pas besoin d?ajouter Ameyar !) auquel l?auteur saura sans doute pardonner le «crime» de ne lui avoir pas prodigué les règles d?or du journalisme pour que ce dernier cherche sa voie tout seul. La Vie économique, un hebdomadaire de notoriété au royaume du Makhzen, aura été une autre vie pour Grine. Un vivier intarissable. Ali Lemrabet, Servan-Schreiber, Françoise Giroud, l?auteur les a connus, là, les genoux collés sous le desk, un stylo et les vingt-six lettres de l?alphabet comme outils de travail. Et loin des affres du bouclage, de l?impératif du deadline, l?auteur a su préserver son ouïe intacte pour apprécier les beaux décibels de Kadhem Essaher, Georges Wassouf, les airs libertins d?Iglesias ou les cris stridents de Doukali. Apprécier la vie, c?est aussi rendre hommage à des hommes et des femmes qu?on aime, qu?on croise dans la rue ou à la télé : Madjer, Cherif Hamia, Assad, Mokhtar Aribi, Maurice ??, Nacer ?? ou alors Omar Gatlatou et sa légendaire redjla font partie de ceux-là. Hamid Grine a trouvé la sève : faire confiance aux ombres. (*)Hamid Grine, journaliste Comme des ombres furtives 252 pages, Casbah Editions