Il était une fois un roi fort riche mais qui n'avait qu'un fils. Parce que le prince était beau, on l'avait surnommé Guêpier, du nom de l'oiseau dont il avait le teint. Le prince aimait passionnément les jeux de hasard. Aussi, quand le roi, très vieux et désirant avant sa mort obtenir la rémission de ses péchés, voulut partir en pèlerinage, fit-il venir son fils et lui fit-il ses recommandations : — J'ignore, lui dit-il, combien durera mon absence, et même si je revenais. C'est donc à toi qu'incombe la charge du royaume et de la fortune que nos ancêtres nous ont laissés. Veille sur l'un et sur l'autre. N'oublie pas que le peuple t'a été confié afin que tu fasses son bonheur. Quant aux richesses qui sont parvenues jusqu'à toi, à défaut de les accroître, tu te dois au moins de les conserver. Le prince promit de se conformer très exactement à ces recommandations. De fait, au début, il déploya tous ses efforts pour gouverner avec justice et accroître la fortune que le roi lui avait laissée. Mais, très vite, il fut repris par sa passion du jeu et il se mit à fréquenter incognito les tripots les plus mal famés de sa capitale. Cependant les partenaires avec qui il jouait étaient malhonnêtes et, de toute façon, beaucoup plus habiles que lui. Aussi eut-il vite fait de dilapider une fortune considérable : il perdit d'abord son argent, puis engagea ses meubles, ses bijoux, ses coffres pleins d'objets précieux. Au bout de quelque temps, il ne lui resta plus rien de tout cela. La reine était désespérée et attendait avec effroi le retour du roi. Mais, même ruiné et n'ayant désormais plus rien pour jouer, le prince Guêpier n'en continuait pas moins à se rendre au tripot chaque jour, tant était ardent son amour du jeu. A défaut de participer lui-même aux parties qui se déroulaient, il s'asseyait à l'une des tables et regardait avidement les figures et les passes, qui avaient fait longtemps sa passion avant de faire sa ruine. Le tenancier d'abord le laissa faire, mais à la fin il se lassa de la présence de ce joueur malchanceux, ruiné et qui, chaque jour, occupait une place qu'un autre plus riche aurait pu prendre. Aussi, un jour, le pria-t-il de quitter la taverne pour laisser les autres jouer. Le prince ne pouvait pas révéler sa véritable identité, mais, en outre, la seule perspective de ne plus venir s'asseoir à une des tables du tripot, même s'il ne jouait pas, lui était insupportable. Il ne savait que répondre au tavernier quand il vit venir à lui un homme qui, depuis longtemps, fréquentait la taverne, mais se tenait toujours à l'écart. — Veux-tu continuer à jouer ? lui demanda l'homme. — Je n'ai plus rien à miser, dit Guêpier, j'ai perdu toute ma fortune au jeu. — Je te donnerai tout l'argent dont tu auras besoin. Guêpier se demandait s'il rêvait ou s'il n'était pas l'objet d'une mystification. — Je ne vois pas pourquoi vous m'offririez votre argent, dit-il. — Je te donnerai tout l'argent que tu voudras... mais à une condition. — Laquelle ? — Que tu me le rendes quand ton père sera revenu. (à suivre...)