De notre envoyé spécial à Guelma Mohamed Rahmani Le petit village Badji Mokhtar, situé au bord de la RN 16 à une cinquantaine de kilomètres de Guelma, vit et survit grâce à l'olivier qui constitue avec les quelques lopins de terre cultivés en blé la principale ressource pour une population de 5 000 âmes. «Cet arbre est, pour nous, synonyme de vie, nous confie le vieux Lakhdar. J'en possède 5 hectares hérités de mon père, c'est ce qui permet à ma famille de subsister, j'essaye d'en prendre soin du mieux que je peux avec les maigres moyens que nous avons.» Le village construit sur la vallée est «assiégé» par des milliers d'oliviers qui couvrent presque tout, ne concédant que peu d'espace à d'autres arbustes. L'olivier omniprésent Sur les petites collines, sur les versants des montagnes, au milieu des champs, sur les rives de l'oued tout proche, l'olivier est omniprésent, un olivier la plupart du temps non entretenu et à l'état sauvage. Peu ou pas de taille, pas de piochage ou labour à l'araire, absence totale de fertilisants ou de fumure, bref des vergers totalement abandonnés et desquels on se rappelle le temps de la cueillette pour ensuite les oublier. La méthode et les moyens mis en œuvre pour la cueillette sont restés archaïques et n'ont pas évolué, pas de mécanisation, pas d'arrachage c'est plutôt le gaulage qui meurtrit l'olivier et altère la qualité des fruits cueillis et destinés à la transformation. «L'olive qui tombe sur les bâches étalées sur le sol a été touchée, par la gaule, sa peau se dégrade rapidement, les bactéries y pénètrent, c'est ce qui est à l'origine de la forte acidité de certaines récoltes», nous déclare M. Rahmoun le patron de l'huilerie «El Djaouda» implantée à près d'un kilomètre au sud du village. «L'huile recueillie après trituration ne répond plus aux normes internationales ; elle est de qualité médiocre. Cependant, les olives provenant de la région de Oued Cheham [village, situé à 12 km de Badji Mokhtar, ndlr] sont les meilleures, c'est une variété de Chemlal très oléagineuse, dommage qu'il n'en existe pas beaucoup dans la région. » L'huilerie qui s'étend sur 1000 m2 avec une surface bâtie de 200 m2 tourne à plein régime à cette période de l'année, les sacs d'olives affluent ; à dos d'ânes, de mulets ou en vrac à bord de camionnettes. Déchargée, elle passe à la chaîne : lavage, filtrage, malaxage puis à la presse pour enfin extraire une huile verdâtre qui se déverse dans les fûts. M. Bacha, copropriétaire de l'unité, nous dit que son huilerie est bien équipée avec un matériel italien comme celui utilisé en Tunisie ou en Espagne. «Il a été chèrement acquis. C'est un crédit que nous avons contracté auprès d'une banque censée aider l'agriculture mais qui, finalement, nous a presque mis sur la paille. Le prêt accordé avec un taux de 21 % s'est trouvé multiplié par 3 à cause de la dévaluation du dinar intervenue à la fin des années 90 et qui a entraîné une perte de change que nous, petits investisseurs, avons dû payer de notre poche. Jusqu'à aujourd'hui, nous n'avons bénéficié d'aucune subvention ou aide provenant du Fonds national de régulation et de développement agricole (FNRDA)», poursuit-il. Selon M. Rahmoun, son unité procède à la trituration, en haute saison, jusqu'à 80 à 100 quintaux par jour et ce, pendant près de 2 mois. Pour l'année en cours, la récolte a été meilleure qu'en 2007 et la situation s'est nettement améliorée. «Il y a des années où on ne tourne que pendant 15 jours, nous apprend-il, c'est à cause des mauvaises récoltes et de la contrebande qui a fait des ravages en 2001. Notre bonne olive traverse les frontières pour être vendue en Tunisie où elle est très prisée du fait de son faible taux d'acidité. Elle y est transformée pour être revendue en Europe où ce pays exporte le plus gros de sa production. La Tunisie est au 3ème rang mondial des pays exportateurs d'huile d'olive et il faut qu'elle conserve sa place coûte que coûte, l'olive algérienne est là pour lui ‘‘prêter main forte''.» Heureusement depuis, les autorités, services des douanes en tête, ont réagi et ont complètement éradiqué le phénomène. La qualité, un credo Plus au nord, à 8 km de Badji Mokhtar sur la route de Megsmia, c'est une autre huilerie moderne qui est installée, des ouvriers s'affairent, un patron ayant l'œil sur tout et des machines flambant neuves tournent pour déverser à la fin de la chaîne le fruit de tous ces efforts : une belle huile se déverse dans les fûts et les bidons. On y goûte, on en apprécie la saveur puis on procède à un second réglage avec les outils appropriés. «Comme vous le constatez, nous lance le chef d'équipe, nous faisons tout pour que l'huile que nous produisons plaise à nos clients. Nous les fidélisons par la qualité et notre meilleure publicité est la satisfaction du consommateur, il reviendra certainement si notre produit lui plaît.» Dehors, dans la petite courette, plusieurs véhicules sont stationnés, les conducteurs, chacun un bidon de 5 litres à la main, attendent patiemment leur tour pour être servis. «Il y a bien des vendeurs au bord de la route qui proposent de l'huile d'olive à 300 et 350 DA le litre, mais je n'ai pas confiance, il se peut qu'elle soit frelatée ou de très mauvaise qualité. Je préfère celle de la ‘‘maasra'', ici au moins je sais à qui j'ai affaire», nous confie un des conducteurs. Selon certains patrons d'huilerie, les équipements de fabrication turque -dont les prix sont très abordables- sont peu fiables et des défaillances techniques sont souvent enregistrées. La qualité de l'huile recueillie après les différentes phases n'est pas aussi bonne que celle traditionnelle ou celle réalisée avec d'autres équipements. Le goût est altéré et sa composition ne répond pas aux normes internationales, ce qui constitue un handicap certain quant aux perspectives d'exportation vers des pays tiers. Cependant, ces affirmations restent à vérifier sur le terrain pour pouvoir confirmer ou infirmer ces déclarations. Il y va de l'avenir de la filière et il s'agit pour les autorités d'entreprendre une enquête minutieuse et prendre, s'il y a lieu, les décisions qui s'imposent de façon à préserver ce produit de tout traitement préjudiciable, sinon des rumeurs malfaisantes. Le verger oléicole de la wilaya de Guelma composé de la variété chemlal et de la blanquette éponyme s'étend sur 7 000 ha diversement répartis sur les montagnes et les quelques plaines localisées au sud-est et à l'ouest du chef-lieu de wilaya. Ce verger vieillissant n'a pas été sérieusement pris en charge et a été abandonné en partie. Coupes illégales, incendies de forêt, tailles insuffisantes, production réduite ne répondant plus aux besoins des familles vivant en zone rurale, émigration vers les villes ont fait que ce formidable potentiel est en train de péricliter et peut disparaître d'ici quelques années. Cette importante ressource qui, par le passé, a fait vivre des générations entières de ruraux n'est plus aujourd'hui considérée comme telle, la plupart des habitants s'en sont détournés pour embrasser d'autres métiers et d'autres activités jugées plus lucratives. Il faut dire aussi que l'Etat ne s'est intéressé à l'olivier que ces dernières années avec les différents plans de développement du secteur agricole. «Il y a eu des dizaines de subventions. Le PNDA et le FNRDA soutiennent sans exclusive tout ce qui touche à l'agriculture, le soutien est plafonné à 50 plants par ha, l'engrais est lui aussi subventionné après analyses des sols [macroéléments] par des laboratoires. Nous sommes aujourd'hui à la phase de la taille de régénération pour réhabiliter le verger âgé, le greffage oléastre se poursuit selon un plan arrêté et nous pensons que nous arriverons à atteindre nos objectifs dans les délais que nous nous sommes fixés», nous a déclaré le directeur des services agricoles de la wilaya de Guelma. Le label attendu Selon ce responsable, 4 huileries sur les 14 implantées à travers le territoire de la wilaya de Guelma, ont bénéficié d'importantes subventions et sont opérationnelles. La production a atteint cette année les 53 000 quintaux. C'est «une récolte record. Elle est bien meilleure que celle de 2007 où nous n'avons pu engranger que 40 000 quintaux et ce n'est pas fini, nous en sommes encore à la phase de trituration», poursuit le DSA. S'agissant de la qualité de l'huile d'olive de la région, le commis de l'Etat nous apprendra que le produit de la région est reconnu par tous comme étant très bon et qu'un dossier a été déposé au niveau du ministère de l'Agriculture pour bénéficier d'un label particulier à la région. Le travail et les dispositifs mis en place pour préserver et sauver le verger oléicole de la région restent cependant insuffisants au vu de l'ampleur des dégâts constatés. Il faudrait un bouleversement du monde rural pour arriver à une régénération totale des plants qui pourront, dans les années à venir, replacer Guelma dans le peloton de tête des wilayas productrices de ce précieux liquide.