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Où va l'Algérie ?
Question récurrente depuis l'Indépendance
Publié dans La Tribune le 14 - 02 - 2014

Quels état des lieux et contexte socio-économique et politique sous-tendent les luttes au sommet qui se mènent dans la place publique et par médias interposés et par procuration. Rappelons qu'aucun des protagonistes ne s'est exprimé ouvertement à l'exception du message du président de la République qui a condamné les atteintes à l'unité de l'ANP, qu'il a qualifiées d'acharnement inédit depuis 1962. Si l'Algérie dispose d'une manne financière confortable qui la prémunie contre les effets pervers de la crise mondiale et de ses conséquences sociales, l'économie n'arrive pas à décoller et continue à dépendre de la rente pétrolière, ce qui rend caduque l'aisance financière actuelle puisqu'elle sert à acheter la paix sociale et à alimenter des demandes qui ne produisent pas de valeur ajoutée. Aucun projet économique viable n'est formulé pour répondre non seulement aux attentes citoyennes en matière d'emplois et de bien-être, mais surtout à la nécessaire diversification de l'économie, à la performance productive et managériale, à la qualité des produits et à la mise en place d'un tissu de PME-PMI, seul moyen de relancer l'activité économique hors hydrocarbures et hors BTP. Ce dernier secteur est certes en plein boom mais il est dominé par les sociétés étrangères et la main-d'œuvre importées. Cet état de fait, favorise une grogne sociale ininterrompue et une sourde colère, notamment des jeunes qui souffrent d'un mal-vivre chronique. La situation économique boiteuse tâtonne dans un marasme politique général où l'on admire et redoute, à la fois, les printemps d'ailleurs sans pouvoir semer les graines pacifiquement. Dès que les révoltes arabes ont commencé à donner leurs fruits, en Tunisie et en Egypte, Bouteflika a annoncé dans son discours d'avril 2011, son intention d'engager de profondes réformes institutionnelles et constitutionnelles. L'ouverture du champ audiovisuel n'a pas révolutionné le paysage médiatique, puisque l'Entv a été clonée. Les élections législatives de 2012 n'ont pas drainé les foules et leurs résultats ont été perçus comme un prélude à la pérennité du système. Quant au discours de Sétif sur la fin de règne de la gérontocratie, il s'apparente, à la lumière de la fissure du système, à un vœu pieu sans lendemain et semble être oublié comme la révision de la Constitution.
Cinquante ans d'attente
Au lendemain de l'Indépendance, ceux qui avaient parié sur l'Algérie eurent raison de l'avoir fait. Un Etat était en construction, une économie commençait à prendre forme, la fierté d'être Algérien était justifiée. L'ère Boumediène était peut-être un passage nécessaire pour jeter les fondations d'un édifice dans un terrain glissant, dans un environnement favorable et avec une opinion nationale engagée et mobilisée derrière la direction politique du pays. Sous Boumediène, les Algériens n'ont pas vu de responsables s'enrichir, ni de richesses mal acquises s'étaler sans scrupules, ni de népotisme à grande échelle. Les libertés individuelles et collectives étaient limitées, surveillées mais les richesses du pays étaient réparties équitablement. La gratuité de l'enseignement et de la santé ont propulsé des millions d'Algériens de la misère au bien-être relativement décent. Ces mesures sociales ont permis l'émergence de l'élite
post-indépendance et la constitution d'une classe moyenne dynamique.
La conjonction de ces deux catégories sociales en a fait le fer de lance du combat démocratique engagé au milieu des années soixante-dix. Au début des années quatre-vingt, les tâches démocratiques étaient à l'ordre du jour et le mouvement politique revendicatif avait atteint la maturité nécessaire pour remettre en cause le consensus établi au lendemain de l'Indépendance. Les années quatre-vingt ont été une période charnière où le régime a remis en cause ses choix initiaux sans avoir les moyens de bouleverser un ordre social fait de compromis. Le démantèlement des entreprises publiques, du tissu industriel, de la réforme agraire, du système éducatif et universitaire...a creusé le lit de la discorde et a remis en cause la cohésion nationale. Le chômage, la déperdition scolaire, le népotisme, la corruption, l'enrichissement illicite, la déportation de population... autant de phénomènes venus s'ajouter aux problèmes non résolus comme la crise du logement, l'eau, l'énergie... ont nourri la colère latente qui s'accumulait et se comprimait chez une jeunesse qui ne supportait plus cette chape de plomb et ce mal-vivre. Octobre 1988 a ébranlé le système du parti unique mais ne l'a pas détruit. L'ouverture démocratique n'aura été qu'un intermède qui a permis au régime de se ressourcer et de s'adapter aux nouvelles donnes en changeant de méthodes. Les années quatre-vingt-dix ont vu l'Algérie s'installer dans une tragédie sanglante. La guerre fratricide a définitivement mis un terme au mythe des Algériens frères, au mythe du peuple soudé, au mythe d'une solidarité sans faille. La théorie du chaos salvateur semble avoir été payante puisque le terrorisme a failli saper l'Algérie mais a renforcé le système qui a mis un bémol à l'expérience démocratique en usant et abusant du subterfuge du multipartisme de façade, qui a couvert, au nom de la lutte antiterroriste, un plan de prédation généralisé à grande échelle. Si l'Algérie n'a pas explosé en mille républiques c'est parce que Novembre, ses idéaux et ses rêves sont toujours vivaces chez la majorité des Algériens qui, en dépit de la lassitude, du dégoût de ces odeurs nauséabondes du pourrissement d'un système en décomposition, n'ont pas perdu l'espoir de remettre le pays sur rail. Quarante ans après l'Indépendance, l'heure était à une réconciliation qui n'aurait pas dû être si la cohésion nationale avait été préservée, l'heure était à la reconstruction d'une économie qui n'aurait pas dû être détruite, l'heure était au déchirement d'un système dont les différents protagonistes n'ont pas soldé tous leurs comptes, l'heure était aux attentes renouvelées de l'avènement d'une
dynamique de changements, de réformes profondes, de salubrité publique...
L'économie peine à prendre son envol, l'école est toujours sinistrée victime de la médiocrité et de l'incompétence, la santé est malade de sa gestion et de ses prestations. Pourtant, l'économie parallèle est florissante et contrôle une part importante du PIB, la contrebande a trouvé un terreau fertile pour prospérer au vu de tous avec des complicités solides. Pourtant, l'Algérie dispose de moyens financiers enviables et d'un potentiel humain en jachère. En 2012, l'Etat algérien est toujours aussi jacobin qu'en 1962, aussi centralisé, aussi otage d'un système abortif et castrant et dont la force d'inertie empêche l'émancipation sociale et politique et économique. Le régime s'est érigé en tuteur de la nation et de son avenir et refuse de se défaire de ce statut autoproclamé au lendemain de l'indépendance. Aujourd'hui, la société algérienne a changé.
Ses besoins ne sont plus ceux des générations post-indépendance. Une génération rebelle qui rejette toute tutelle imposée, tout dogme désuet, et tout ordre oppressif est en passe d'être majoritaire. La majorité factice du FLN peut bercer d'illusions ceux qui s'en réclament mais n'a aucun effet sur le terrain et sur la réalité. Si les Algériens ne prennent plus part aux élections, c'est parce qu'ils ne croient plus aux marchands de sable, aux parodies de démocratie, et aux discours creux.
Cinquante-neuf ans après une détermination sans faille face au sacrifice suprême d'une nation, la même nation doute et hésite face au lendemain. Autant la veille du 1er Novembre 1954, les Algériens savaient très bien où ils allaient et en assumaient tous les risques, autant, à la veille de 2014, c'est l'opacité totale. Pourtant, en théorie, et selon les textes régissant le fonctionnement de l'Etat et des institutions, ce sont les Algériens qui décident où aller. Aujourd'hui, ils ne le savent pas. Ils spéculent pour se rassurer. Ils imaginent des scenarii tant les inconnues sont nombreuses, tant l'incertitude est totale. Cinquante ans après l'Indépendance, l'Algérie navigue à vue.
L'émancipation sociale et économique comme enjeu
L'Occident domine le monde parce qu'au-delà de son potentiel cumulé depuis des siècles, il sait ce qu'il veut, où il va et se donne les moyens d'y parvenir. Les pays du Sud en général, subissent leur sort comme une fatalité immuable, réagissent par à coups et font du mimétisme dans leur démarche boiteuse. Si l'Occident a construit sa puissance aux dépens des peuples colonisés, puis à travers un néocolonialisme plus sournois et plus grave, les pays du Sud ont tenté des expériences individuelles et collectives pour parachever leur indépendance économique qui n'ont pas abouti pour une somme de facteurs objectifs et subjectifs liés à la nature même des régimes politiques et aux contre-offensives incessantes des pays du Nord pour saper tout projet d'émancipation du tiers-monde. Le rêve et l'idéal tiers-mondiste se sont définitivement effondrés avec la chute du Mur de Berlin et l'éclatement du bloc de l'Est, ouvrant la voie à l'hégémonie totale du capitalisme comme unique modèle de développement pour toute l'humanité. Le concept du non-alignement n'a désormais aucun sens et les pays du Sud sont face à l'inconnu et à la résignation. La stratégie collective élaborée au lendemain des indépendances par des leaders nationalistes et tiers-mondistes a été conçue dans un contexte international particulier où s'affrontaient deux grands blocs depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Si dans les discours des dirigeants tiers-mondistes, il apparaissait une volonté d'une dynamique indépendante aussi bien de l'Occident que de l'Est, dans les faits, la majorité des pays du Sud étaient alignés sur les choix d'un bloc ou de l'autre. D'où le dilemme de l'après Mur de Berlin : pour ceux qui ont opté pour le socialisme, il s'agit de tout revoir, pour ceux qui étaient les vassaux de l'Occident, ils se sont retrouvés livrés à eux-mêmes sans moyens de mettre en place un système économique libéral efficace. L'Algérie, qui depuis 1962 s'était engagée dans une voie de développement non capitaliste, a entamé une timide mue dès les années quatre-vingt, à travers une ouverture (infitah) économique qui se voulait lente pour éviter un changement brutal et traumatique. La restructuration des entreprises économiques visait une privatisation à terme. Mais ce processus a éveillé les craintes d'une partie de la Nomenklatura, qui entrevoyait son éviction et son exclusion du système. D'où la forte opposition à l'aile libérale du pouvoir et l'échec de la révision de la Charte nationale en 1985. Cet évènement politique a coïncidé avec la chute brutale du prix du pétrole générant des difficultés financières qui allaient aggraver le mécontentement social qui a émaillé les années quatre-vingts pour aboutir aux émeutes d'Octobre 1988.
L'abandon du projet de société de Boumediène a mis à nu un système qui ne comptait que sur la rente pétrolière et n'avait aucune autre stratégie de rechange. Il a suffi que les prix du pétrole chutent de 40 dollars à 12 dollars pour que l'Algérie entamât sa descente aux abysses. L'aisance financière d'aujourd'hui ne signifie nullement que l'Algérie s'en est sortie économiquement. A ce jour, il n'existe aucune stratégie, aucun plan sérieux qui mette le pays sur rail pour engager une croissance hors hydrocarbures pérenne. L'improvisation continue à le disputer au bricolage économique. Deux facteurs majeurs constituent pour l'heure un rempart qui protège l'Algérie des effets de la crise financière en zone euro :
-la non-intégration du système financier algérien au système mondial
- le matelas financier conséquent de près de 200 milliards de dollars qui alimente les investissements publics et finance les approvisionnements en équipements et en produits alimentaires.
La croissance en Algérie est tirée essentiellement par le secteur des hydrocarbures, les travaux publics, les services et l'agriculture. Le secteur industriel demeure, quant à lui, dans un état léthargique et ce, en dépit du large tissu dont il dispose et des compétences humaines en jachère. La relance du secteur industriel ne peut se suffire de l'assainissement financier des entreprises. La mise à niveau technologique et la diversification de la production industrielle sont les conditions majeures de la renaissance d'activités productives de valeur ajoutée et génératrices d'emplois qualifiés. Les appréciations positives des différentes institutions financières internationales ne devraient pas voiler la réalité de l'économie nationale qui reste tributaire des recettes des hydrocarbures. Pourtant, et depuis les années 1970, les autorités politiques, conscientes de cette contrainte, ont toujours plaidé pour la diversification de l'économie, mais les choses n'évoluent pas dans le sens souhaité en l'absence d'une stratégie économique globale alternative à la rente pétrolière articulée autour de trois axes porteurs : l'agriculture, les énergies et les travaux publics.
Occasions ratées
La crise financière internationale, qui touche désormais l'économie réelle, est un contexte favorable pour que l'Algérie s'engage résolument dans une voie volontariste qui ferait de son agriculture un secteur fort, notamment en développant les cultures stratégiques pour, d'une part, diminuer sa facture d'importation et, d'autre part, favoriser une exportation de qualité. Les Hauts-Plateaux algériens constituent un terreau pour ce genre de cultures, alors que la mise en valeur des terres dans le Grand Sahara peut permettre à l'Algérie, à terme, non seulement d'atteindre l'autosuffisance en matière de céréales mais d'en exporter une grande quantité. Le secteur de l'énergie ne doit plus être perçu comme une manne financière, mais comme un moteur pouvant entraîner le développement d'une industrie dont le secteur a besoin et dont les équipements sont importés à coups de milliards de dollars. Le ministre de l'Energie et des Mines a déjà abordé cette question en appelant les entreprises du secteur à s'approcher des industriels nationaux pour s'approvisionner et pour l'usinage de certains équipements. La perspective des énergies renouvelables devra inciter les autorités à encourager une industrie nationale qui produit les équipements nécessaires à ce secteur stratégique. Enfin, le secteur du bâtiment et des travaux publics en pleine croissance devra, lui aussi, stimuler une industrie nationale qui réponde à ses besoins en équipements et machines lourdes. Rappelons que le Haut commissariat à la planification et à la prospective (Hcpp), en collaboration avec différents départements ministériels, a lancé, en octobre 2010, une réflexion sur une stratégie globale de développement économique. Le Hcpp a ainsi tenu une série de réunions avec les représentants des ministères autour d'une démarche qu'on voulait «cohérente et sérieuse» pour reprendre les termes utilisés par un membre du Commissariat. Ces parties travaillent autour d'axes principaux :
les secteurs compétitifs, l'énergie, l'aménagement du territoire, le développement humain et, enfin, les institutions et les modes de gouvernance. L'objectif est d'identifier pour le premier axe les secteurs à développer en fonction de leur compétitivité. Le but est également de rechercher les moyens susceptibles d'assurer l'adaptation face aux changements en matière d'énergie et de clarifier les choses dans le débat sur l'épuisement des énergies fossiles et le recours aux énergies renouvelables. Pour les trois autres axes, le travail est concentré sur les méthodes d'amélioration des indicateurs de développement humain en Algérie, les bases de la stratégie nationale d'aménagement du territoire et, enfin, les moyens à même d'assurer une meilleure gouvernance autour de ces institutions. Manifestement ce projet a été abandonné, puisque rien n'a été fait à ce sujet depuis plus de deux années. Pourtant, c'est l'occasion ou jamais d'aller vers l'élaboration d'une stratégie globale de développement tous azimuts. Pourtant, l'Algérie fait face à des défis majeurs. Avec son PIB qui la place en deuxième place arabe et africaine, elle n'est pas encore considérée comme un pays émergent. Son économie patine et sa gouvernance est en quête d'efficacité.
L'Algérie revient certes de loin après avoir vécu l'horreur des années quatre-vingt-dix, qui a coûté plus de 150 000 morts, des centaines de milliers de déplacés et plus de 20 milliards de dollars de dégâts. Mais la mauvaise gestion, la corruption et les malversations ont coûté au pays beaucoup plus en termes de moyens financiers, de compétence et de temps. La crise économique mondiale risque de s'aggraver en 2015. Si d'ici là, l'Algérie ne remet pas en marche sa machine économique et ne développe pas les secteurs clés que sont l'agriculture, l'industrie et les nouvelles technologies, elle risque de subir de plein fouet les effets néfastes de la récession mondiale. Si l'économie mondiale ne redémarre pas, le pétrole continuera à baisser. Compter sur la rente pétrolière est un suicide programmé.
A. G.


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