La machine électorale se met en place et fait fi du mouvement de protestation qui enfle comme un abcès qu'on ignore. Pour la majorité silencieuse, l'attentisme s'installe. L'annonce de la candidature du Président sortant-restant, a tétanisé une opposition amorphe qui n'arrive pas à formuler une alternative collective, alors qu'elle ne cesse de répéter que le système ne peut changer par les urnes. Les seules offres formulées sont le boycott ou la participation. Depuis 1991, ce sont les mêmes scénarios électoraux qui se répètent, les mêmes promesses qui sont servies, les mêmes résultats qui se dessinent. Si durant les années quatre-vingt-dix, l'insécurité et l'instabilité ont provoqué la mise en berne du processus démocratique entamé en 1989, les années deux mille ont été consacrées au rétablissement de la paix civile et à une vaine tentative de relancer une économie sclérosée. Le retour au processus démocratique a donc été renvoyé aux calendes grecques, même si les promesses de s'y atteler n'ont pas manqué. En fait, parallèlement aux grands chantiers que sont la réconciliation nationale atrophiée et les projets infrastructurels budgétivores, l'opposition a été laminée et la société civile naissante a été domestiquée afin de pérenniser le système avec ses tares non réformables et ses limites structurelles qui ont provoqué et exacerbé sa propre crise qui se traduit aujourd'hui par un blocage institutionnel et une déliquescence de l'Etat. Cet état de fait explique le sentiment d'angoisse de la rue divisée entre résignation et velléités de riposte. L'approche de Hamrouche dans son analyse de la situation du pays est mue par une perception fataliste des choses. Il n'existe en Algérie aucune force capable de changer le système en dehors de l'institution militaire. Mouloud Hamrouche qui se dit enfant du système et fils de l'institution militaire depuis l'ALN, ne répond pas cependant à la question lancinante que se posent les Algériens. L'armée est-elle prête à changer le système et à mettre le pays sur la voie de la démocratie participative qui consacre la citoyenneté, l'Etat de droit, la séparation des pouvoirs, l'indépendance de la justice et l'Etat social ? Lors de sa conférence de presse, l'ancien Chef du gouvernement ne se propose pas comme alternative, rejette toute action de rue et semble appeler à des négociations entre toutes les composantes du système, de l'opposition et de la société pour renouveler un compromis sur de nouvelles bases tendant vers de nouvelles perspectives. «Il n'y a aucune chance d'instaurer un système démocratique sans l'aval et le soutien actif de l'armée», conclut Hamrouche. Ce verdict sans appel est un constat d'échec de toute la dynamique engagée depuis 1989. Pour Hamrouche la seule institution structurée, disciplinée et décisive est l'institution militaire. «Quand on parle de l'armée, on parle d'un bloc et nous en avons souvent l'image d'une forteresse (...). En fin de parcours, cette forteresse est constituée d'hommes et de femmes, d'Algériens et d'Algériennes», explique-t-il, ajoutant, «nous avons besoin de consensus et l'institution (ANP) participe dans l'élaboration des mécanismes nécessaires. Seule l'institution de l'armée peut jouer un rôle après qu'on ait paralysé toutes les institutions». Hamrouche ne dit pas qui a paralysé les autres institutions, qui a laminé l'opposition et annihilé les contre-pouvoirs naissants. Le fils du système réformateur qui refuse de faire le procès de quiconque, refuse de remuer le passé et de situer clairement les responsabilités du blocage et de l'impasse où se trouvent et le système et le pays, n'explique pas non plus comment l'armée peut jouer ce rôle salvateur de la nation, d'autant plus qu'il n'appelle pas à un coup de force. «Je ne demande pas un coup d'Etat ou que l'armée empêche le Président (Bouteflika) de se représenter mais je l'appelle à sauver le pays de l'impasse», lance-t-il. L'ancien chef de gouvernement pense également que cette institution n'a pas à s'immiscer dans les conflits politiques. «J'appelle à la discipline et à l'application des ordres quelle que soit la situation.» «Je n'appelle pas l'armée à la désobéissance ou à la dissension», insiste-t-il. A travers les déclarations de Hamrouche, aussi bien dans sa déclaration préliminaire que dans ses réponses aux journalistes, l'observateur est dérouté, ne sachant pas si Hamrouche dit les choses à demi-mot où l'essentiel est dans le non-dit. La réaction tardive du FFS, rejoint l'approche de Hamrouche aussi bien sur la nature de la crise que sur la solution. Manifestement, le retour d'Ouyahia, met un terme à la spéculation sur une solution négociée. Le système semble avoir trouvé un compromis sur l'après 17 avril, à travers des désignations qui donnent l'impression d'une entente et d'une marche en rangs serrés derrière le candidat Bouteflika. Les observateurs perçoivent en Ouyahia, le futur vice-président qui se chargera de garantir le fonctionnement de l'Etat et des institutions le cas échéant. Aucune autre alternative ne se dessine Cependant aucune alternative à la dynamique en cours n'est perceptible, tant l'opposition est divisée entre boycott et participation à travers le soutien à Benflis. Les divisions au sein des organisations de masse comme les moudjahidine, les enfants de chouhada, les organisations estudiantines, le patronat..., ne font qu'aggraver l'atomisation sociale face à un système qui ressoude ses morceaux et tente vaille que vaille de se régénérer et de renaître de ses cendres. Le mouvement Barakat dont la plateforme reflète les attentes de l'opposition, d'une classe moyenne qui peine à se constituer en ciment social et en locomotive de la nation. Les principaux points de cette plateforme sont, le rejet des élections, l'appel à une période de transition gérée par l'ensemble des forces politiques en présence et aussi la mobilisation autour de la prochaine Constitution qui va incarner le projet politique de la deuxième République. «Barakat ne se limite pas au rejet du 4e mandat, mais se veut une force de proposition pour une alternative au système», précise un des initiateurs du mouvement. Des universitaires se sont rassemblés jeudi dernier à l'université de Bouzaréah, pour réclamer un changement de système. «Le système est épuisé et a épuisé les institutions. Seul un changement peut aider le pays», a déclaré Fatma Oussedik, une sociologue professeur à l'Université d'Alger. «L'heure est grave», a-t-elle ajouté. «C'est une manifestation voulue par le corps enseignant. Dans une phase aussi dangereuse pour le pays, il fallait témoigner.» L'enceinte de l'université avait été bouclée par les forces de l'ordre, mais les universitaires en sont sortis pour aller rencontrer la presse, le tout dans le calme, selon Mme Oussedik. Des universitaires ont également lancé jeudi dernier dans la presse un appel à leurs collègues à s'impliquer en faveur d' «un autre avenir pour l'Algérie». «Comment rester indifférents au spectacle d'une scène politique marquée par la corruption, la violation des libertés, le viol de la Constitution, la négation de la volonté populaire», dénonce cet appel. «Pouvons-nous rester indifférents devant un système finissant qui a acheté, achète et achètera la paix sociale en dilapidant les profits de la rente pétrolière afin d'endormir et de contrôler les Algériens, d'asseoir sa mainmise sur les richesses du pays et de perpétuer un système vieillissant à l'image de son chef, que l'on veut nous imposer pour encore plusieurs années», affirme l'appel. «Pour la première fois, certains universitaires se sentent dans l'obligation de prendre leurs responsabilités vis-à-vis de leur société», a estimé Mohamed Hennad, un politologue présent à la manifestation de Bouzaréah. «C'est un appel au changement de la pratique du système qui a sévi depuis 1962», date de l'indépendance de l'Algérie, a-t-il ajouté. Encore une fois, l'opposition s'est présentée aux élections en rangs dispersés, face à un système en crise en passe de se reconstituer, de colmater ses brèches et renouveler ses clientèles politiques et sociales. En parallèle, la société n'a pas réussi à construire ou à reconstruire ses instruments de résistance et de contre-pouvoir en raison de son éclatement et de sa dislocation. Les élites nationales se sont dispersées après la crise économique des années quatre-vingts qui a laminé la classe moyenne et les violences des années quatre-vingt-dix qui ont ouvert la voie à l'exil. Les nouvelles élites intellectuelles sont souvent liées à des intérêts de groupes ou, dans le meilleur des cas, ont opté pour la neutralité et la passivité, refusant de jouer le rôle historique qui leur est dévolu. Le constat de Hamrouche est amer. La scène algérienne ressemble à un printemps factice paré de fleurs en plastique qui risque d'exploser à tout moment sans pour autant offrir d'alternative fiable et viable. Le verdict fatal de Hamrouche sur le rôle de l'institution militaire est aussi vrai qu'incertain. Son appel à un consensus national semble être vain face aux évolutions constatées ces derniers jours. La méfiance est générale. Les partis de l'opposition ne se font pas confiance pour pouvoir se parler et formuler une position commune. Ces mêmes partis sont méfiants à l'égard de la société civile et de tout mouvement citoyen qui refuse de se mettre sous leur bannière. Les citoyens sont sceptiques à l'égard des partis qui ne se réveillent qu'à l'approche d'échéances électorales et sont prudents à l'égard des mouvements spontanés comme Barakat, en raison des craintes de manipulations intérieures ou extérieures. Le traumatisme des printemps arabes est perçu par les Algériens comme un risque à ne pas courir dans un contexte régional instable et menaçant pour tous les pays de la région. Ce sentiment est d'autant plus perceptible que le pouvoir en fait un cheval de bataille pour décourager toute velléité de manifestation publique de masse. En parallèle, les préoccupations socioéconomiques des citoyens semblent être plus prioritaires que les enjeux politiques de la présidentielle. D'ailleurs, cet élément inquiète les pouvoirs publics et les candidats qui redoutent un fort taux d'abstention, en se référant aux élections législatives et locales précédentes. A. G.