Elle faisait partie de ces nombreuses et nombreux Européens qui ont choisi contre toute logique ethnique ou raciale d'être Algériens. Un choix qui se nourrit de leurs convictions intimes sur la justesse de la cause algérienne. éveline Safir Lavalette nous a quittés ce vendredi 25 avril. Cette grande dame de la résistance algérienne à l'occupant français est partie sans faire de bruit. Elle a eu juste le temps de rédiger ses mémoires pour nous les laisser en héritage. Native d'Alger, elle y voit le jour à la fin des années 20 à Rouiba. Epouse d'Abdelkader Safir, le père du journalisme algérien, éveline Lavalette est une femme discrète qui a toujours refusé d'être sous les feux de la rampe. Longtemps connue comme l'épouse de si Safir, elle vivait tapie dans l'ombre de ce journaliste de talent, lui-même retiré dans sa montagne natale à Benchicao près de Médéa. Les Algériens ont découvert cette femme humble et engagée, à l'occasion de la publication de ses mémoires l'été dernier. Juste Algérienne, comme une tissure, paru en juin 2013 aux éditions Barzakh, a levé le voile sur cette femme exceptionnelle. Vingt ans après le décès de son mari, éveline Lavalette Safir publie des textes, entre poème et prose, où transparaissent les certitudes, les convictions et les questionnements de la grande moudjahida qu'elle a été. De cette immense algérienne qu'elle restera pour l'éternité. Née en 1927 dans une famille européenne établie en Algérie depuis trois générations, elle fait la rupture que lui dictent ses convictions. Elle sera, logiquement, aux côtés de Ben Khedda, Abane et Ben M'hidi. Agent de liaison du FLN, elle transporte documents et matériel, héberge des moudjahidine, tape à la machine des tracts et les imprime, comme l'appel à la grève des étudiants ou la lettre du martyr Zabana à ses parents. L'administration coloniale ne pouvait ignorer longtemps son activisme politique. Elle paiera son engagement au prix fort. Arrêtée le 13 novembre 1956 à Oran, elle est torturée puis emprisonnée trois ans. On fera même douter de son intégrité mentale et on l'internera en asile psychiatrique pour établir que seule la folie pouvait conduire une Française de souche à se compromettre avec les fellagas. À sa sortie de prison, elle s'installa provisoirement en France, sous une fausse identité. Un séjour qui sera de courte durée, suite aux intimidations et menaces de mort proférées contre elle par des groupes extrémistes appartenant à l'organisation «La Main Rouge», qui a précédé l'organisation criminelle «OAS» (Organisation de l'armée secrète). Elle s'exila, pendant deux ans, en Suisse, puis regagna l'Algérie à l'indépendance. Le récit fragmenté de ses années d'enfermement revient avec pudeur sur les privations et les tortures. Les longs interrogatoires et les supplices que l'auteure a subis ne lui feront pas oublier cette solidarité spontanée entre les détenues politiques, comme Djamila Bouhired, Zohra Drif ou encore Annie Steiner. L'auteure ne désigne ces héroïnes que par les premières lettres de leurs prénoms. Des choses ignorées jusqu'à la publication de ses mémoires. À 86 ans, cette combattante de la première heure a fait sa première apparition publique quelques mois à peine avant de tirer sa révérence. Une apparition marquée de sa timidité et pudeur originelles. Des propos et témoignages par bribes, mais qui ruissèlent de sincérité et de convictions. À travers ses textes écrits entre 1956 et 2013, éveline Safir Lavalette s'est livrée à petites doses. Sans la moindre prétention, l'auteure surprend son lecteur par des textes littéraires, des poèmes ou des fragments de journal intime bouleversants, écrits en prison ou bien après. Des textes qui passent en revue pas moins de soixante-dix ans d'histoire algérienne, depuis les années 1930 jusqu'aux années 2000, en passant par la Guerre de libération nationale. À l'indépendance, elle est élue à l'Assemblée constituante, puis à la première Assemblée nationale, en 1964, avant d'intégrer le ministère du Travail, en qualité de conseillère, avant d'occuper le poste de directrice de l'action sociale à Médéa, jusqu'à la fin des années 70. Retraitée, elle s'installe à Benchicao, à l'est de Médéa, avec son défunt époux, doyen des journalistes algériens, puis déménagea, pour des raisons sécuritaires, à Médéa, à partir de 1993. Elle sera témoin de la résistance des Algériens durant la décennie 90. Jusqu'à son dernier souffle, elle continuera à nourrir l'espoir en une perpétuelle renaissance. Son humilité la poussera à parler de sa personne à la troisième personne du singulier pour parler de son ultime rêve. «Elle s'invente une société douce et fraternelle, moderne, organisée, qui se souviendra de l'essence de l'appel du 1er Novembre 1954 et de la plateforme de la Soummam, société qui avancerait au gré des paramètres du XXIe siècle.» Puisse ce monde rêvé par cette grande dame voir le jour sur cette terre qu'elle a si farouchement chérie et défendue. G. H