Entretien réalisé par Smaïl Boughazi LA TRIBUNE : L'industrie du papier est toujours en retard en Algérie. Notre pays importe environ la moitié de ses besoins. Le coût moyen annuel des quantités consommées par le marché national a atteint 600 millions de dollars ces dernières années. Selon vous, quelles sont les raisons de ce retard ? Mustapha Merzouk : En effet, après un «décollage» de cette industrie au début des années 1970, à la faveur des premiers plans de développement du pays qui s'est traduit par la mise en place d'un ensemble d'usines nécessaires à la satisfaction des besoins en papier par l'utilisation de ressources naturelles locales (alfa, paille, bois et vieux papiers de récupération), ce secteur a connu de nombreux problèmes ayant freiné son évolution. Il faut savoir que l'implantation de ces usines s'est faite sur des sites parfois inappropriés. En outre, dès leur démarrage, elles ont été confrontées à de multiples problèmes d'environnement, ce qui a entraîné la prise en charge d'activités annexes ne concernant pas directement la production mais entraînant des surcoûts considérables (aménagement de sites, de routes, de voies ferrées, formation professionnelle, équipements sociaux et autres). A titre d'exemple, la papeterie de Mostaganem a été contrainte de se doter d'un atelier d'électrolyse pour la production de chlore et de soude pour le traitement et le blanchiment alors que l'approvisionnement en ces produits chimiques devait initialement être assuré par une entreprise pétrochimique locale. Elle a également été dans l'obligation d'investir pour une unité de dessalement des eaux saumâtres de l'oued Cheliff pour pouvoir faire fonctionner ses installations avec une eau de qualité conforme. Quant à la papeterie de Saïda, elle a été obligée de s'organiser et de s'équiper pour assurer son alimentation en matières premières. Ce qui s'est traduit par l'acquisition d'un ensemble d'équipements agricoles pour le ramassage, le conditionnement et le transport de la paille (tracteurs, botteleuses, camions…) et la gestion à distance de plus de 1 200 travailleurs saisonniers. Ces contraintes, associées aux problèmes de transfert de technologie, se sont traduites par de très lentes montées en production qui n'ont pas été sans conséquences sur l'état des équipements et de leur rentabilité. Par ailleurs, fortement tributaire de l'extérieur pour ses approvisionnements en matières premières et pièces de rechange, l'industrie papetière, loin d'avoir progressé, a plutôt régressé avec une baisse de la production en quantité et en qualité et, surtout, à défaut d'être rénovés, la dégradation des nombreux équipements. En tout état de cause, l'industrie papetière en Algérie reste tributaire de la disponibilité de la matière première de base, à savoir le bois. L'inexistence de forêts industrielles et l'absence de perspectives dans ce domaine ne permettent pas d'envisager l'implantation d'unités de production de pâte à papier à moyen terme. L'Etat ayant clairement affiché son désengagement de la sphère économique, l'investissement privé ne semble pas s'intéresser à ce créneau. C'est ce qui explique la situation actuelle. La majeure partie de la production nationale provient du secteur public, pourquoi le privé n'a pas investi dans ce secteur et reste timide par rapport à ses capacités ? L'industrie du papier est une industrie lourde (même si la feuille est légère) et nécessitant en effet beaucoup de capitaux. Cette industrie, en particulier la production de base, en raison de sa complexité reste très peu attractive pour le secteur privé. A cela s'ajoute un retour d'investissement très lent, d'où une certaine appréhension de la part des investisseurs privés beaucoup plus présents dans l'activité de transformation : sacs en papier, boîtes en carton compact, caisses en carton ondulé et autres articles scolaires. Au cours de ces dernières années, beaucoup d'entreprises de transformation ont vu le jour, et l'offre pour certains emballages et autres produits papetiers est près de deux fois supérieure à la demande, notamment concernant la caisse en carton ondulé, la boîte en carton compact, les sacs en papier et les cahiers scolaires, d'où une rude concurrence. Le Gipec est né après la fusion de deux leaders de ce secteur en 1998, Celpap et Enepac. Quelle est sa situation à l'heure actuelle ? Dès sa création, à défaut d'investissement et de mise à niveau, le Gipec a entrepris un plan de restructuration qui lui a permis de maintenir les activités encore viables et de se délester de celles déficitaires, consommatrices de ressources. Aujourd'hui, le Gipec, s'inscrivant dans le processus de privatisation/partenariat engagé par l'Etat, a dans son portefeuille sept filiales de production englobant des activités de production de papier, de produits chlorés et sodiques, de sacs en papier (pour ciments et autres produits), de boîtes en carton compact (pharmacie, détergents, cosmétiques et autres), de caisses en carton ondulé et de papiers recyclables. Les parts de marché du Gipec varient, en fonction des domaines d'activité, de 25 à 60%. A l'instar de toutes les industries, celle du papier est confrontée à de nombreuses difficultés. Quelles sont les actions entreprises afin de remettre la machine sur les rails ? La difficulté principale de l'industrie du papier en Algérie reste l'indisponibilité de la matière première et de la ressource hydrique. A défaut d'un vaste programme de forêt industrielle adapté, il est difficile d'envisager une relance de l'activité papetière basée sur l'importation de la pâte à papier sachant que les prix de cette matière restent très instables sur le marché international. La vétusté et l'obsolescence de l'outil de production et l'absence de mise à niveau de réalisation d'investissement, les difficultés financières héritées des insuffisances d'assainissement d'Enepac et de Celpap qui ont perturbé jusqu'à la fermeture des usines en difficulté, l'impérieuse nécessité de se mettre en conformité avec les règles et mesures de protection de l'environnement ont constitué des contraintes ayant pesé sur le devenir de certaines usines. Faut-il rappeler que les unités du Gipec ont été réalisées dans les années 1970 ? Pour relancer la machine, il faut s'inscrire dans le cadre d'une globalisation. Que peut-on produire qui puisse nous permettre de nous insérer dans l'économie mondiale et de nous positionner par rapport aux forces concurrentielles ? En ce qui nous concerne, il faut gérer au mieux l'existant et tout faire pour le pérenniser. La production de papier à base de fibres vierges n'a aucune perspective en Algérie sans relance de projets immédiats de reboisement et de régénération de nappes alfatières, en d'autres termes, sans disponibilité de matières premières locales, de ressources hydriques suffisantes et de capitaux financiers importants. Le secteur de la production de papier et de carton à base de fibres recyclées doit être le vecteur de développement de cette industrie. Quant à la transformation, les capacités installées sont suffisantes pour couvrir les besoins nationaux et dégager des excédents à l'exportation. L'outil doit être mis à niveau en permanence. Est-ce que le Gipec est capable de satisfaire les besoins nationaux dans un proche avenir ? Pour le moment, le Gipec et d'autres opérateurs nationaux arrivent déjà à satisfaire la demande nationale dans certains produits, notamment les sacs, les boîtes, les caisses en carton ondulé et les produits chlorés et sodiques. Sur ces produits, les importations sont quasiment nulles. Pour d'autres produits de base, par contre, le Gipec, dans sa configuration actuelle, ne dispose pas de capacités à même de satisfaire toute la demande en produits papetiers qui restent très variés et ne peuvent être l'apanage d'un seul opérateur. L'ouverture envisagée de son capital au partenariat tant national qu'étranger peut éventuellement permettre une meilleure couverture des besoins dans l'avenir. La production du Gipec est de l'ordre de 100 000 tonnes par an, tous produits confondus, pour un chiffre d'affaires de près de 3 milliards de dinars et un effectif de 1 600 agents. Quel est l'impact de la crise financière mondiale sur le Gipec ? Le Gipec, en tant qu'acteur économique en relation avec l'économie mondiale tant par ses importations que par ses exportations, ne peut échapper aux conséquences de la crise actuelle, du moins à moyen terme. Pour le moment, la chute des cours des matières premières a évidemment un effet bénéfique sur le coût de nos importations. A moyen terme, cela risque de s'inverser par suite d'une vague de fermetures d'usines à laquelle ne pourraient pas échapper un certain nombre de producteurs mondiaux, situation qui provoquerait une réduction des disponibilités et, par conséquent, un renchérissement des prix. Le Gipec tente, aujourd'hui, de mettre en œuvre une politique d'approvisionnement basée sur des relations de fidélité avec des producteurs mondiaux pour justement être le moins vulnérable possible aux effets des fluctuations attendues sur le marché mondial du papier. Sur nos exportations, par contre, les effets de la crise ont été immédiats et le volume de nos ventes sur le marché extérieur a sensiblement baissé suite à la chute des prix des produits habituellement exportés : papiers pour ondulés, papiers recyclables. Le meilleur moyen d'éviter, sinon d'atténuer les impacts de la crise internationale, c'est de compter sur soi, d'assurer une intégration nationale et d'encourager l'acte productif et la sous-traitance en Algérie et de bannir le recours facile à l'importation sans préjudice de nos accords internationaux et que chaque opérateur économique, sans double langage, fasse preuve de patriotisme économique.