Les cours des deux barils de référence, le Brent à Londres et le WTI à New York, ont enfoncé à la baisse le seuil symbolique des 60 dollars. Mercredi passé, dans les échanges asiatiques, le WTI perdait encore 1,16 dollar par rapport à la veille, à 54,77 dollars. Au même moment, le Brent cédait 82 cents, à 59,19 dollars. Le pétrole n'avait plus navigué à ces niveaux depuis 2009. Cette année-là, le WTI valait environ 35 dollars le baril et le Brent s'échangeait à 45 dollars. En 2014, la chute des prix du pétrole a été vertigineuse et surtout rapide : depuis mi-juin, elle atteint presque 50%. Pourquoi les prix du pétrole ne remontent pas ? Les prix s'enfoncent pour des raisons structurelles. En plein ralentissement économique mondial -encore illustré mardi par des mauvaises statistiques chinoises- le marché fait face à un surplus de pétrole, alimenté par le boom de la production d'huiles non-conventionnelles d'Amérique du Nord. L'Agence internationale de l'énergie (AIE) a revu la consommation mondiale d'or noir en 2015 à la baisse, à 93,3 millions de barils par jour (mbj), contre 93,6 mbj anticipés précédemment. Malgré cette surabondance, l'Opep, qui contrôle 30% de la production mondiale, a choisi de ne pas intervenir sur les prix du pétrole en conservant son objectif de production inchangé à 30 mbj. Depuis sa réunion fin novembre, le cartel campe sur sa position de laisser les prix du marché se rééquilibrer d'eux-mêmes. Or «aujourd'hui, il y a beaucoup d'incertitudes. Les marchés cherchent un seuil de résistance et tant qu'ils ne l'ont pas trouvé, ça peut encore baisser», souligne Jean-François Lambert, directeur financement du commerce des matières premières chez Hsbc. Une remontée mécanique des cours pourrait avoir lieu si le pétrole poursuit sa chute. «La baisse des prix va sérieusement mettre à l'épreuve la profitabilité de beaucoup de producteurs», soulignent les experts de Commerzbank. L'offre pourrait alors se resserrer. Les enjeux politiques influencent-ils aussi les cours du pétrole ? Indéniablement, selon les analystes. «Ces trois dernières années, nous avions une stabilité du baril autour de 100 dollars, dans un monde où l'économie fonctionnait pourtant moins vite. Les prix auraient dû baisser mais ils ont été maintenus à cet équilibre par des considérations politiques», explique Jean-François Lambert. Aujourd'hui, plusieurs hypothèses de cet ordre sont évoquées. D'abord celle de l'alliance entre l'Arabie saoudite et les Etats-Unis afin d'affaiblir la Russie, sanctionnée pour sa politique en Ukraine. «C'est une logique de démolition économique», assure Dorian Abadie, analyste chez XTB France. Selon une autre hypothèse, l'Arabie saoudite joue cavalier seul afin d'affaiblir les producteurs concurrents de schiste et surtout montrer qu'elle est un acteur politique majeur dans sa région. «En laissant filer les prix du pétrole, elle coupe les jambes à des producteurs aspirant à la normalisation, comme l'Iran. Elle rappelle à tous que sa voix compte», explique Jean-François Lambert. «Et pour se replacer au centre du jeu géopolitique, les Saoudiens utilisent la seule arme dont ils disposent : le pétrole. Quitte à faire des dommages chez les voisins. C'est une guerre économique», ajoute le spécialiste. L'Arabie saoudite prend le risque de perdre plusieurs centaines de milliards de dollars de revenus mais ses larges réserves de change lui permettent d'encaisser le choc. Malgré l'inquiétude des marchés boursiers du Golfe, la politique de l'Arabie saoudite est suivie par les pays de la péninsule arabique. Lors d'une conférence à Dubaï dimanche, le ministre du Pétrole des Emirats arabes unis, Suhail al-Mazouri, a d'ailleurs déclaré que l'Opep pourrait encaisser un prix du baril à 40 dollars. «Les Emirats arabes unis ont renforcé la spéculation» sur les marchés pétroliers, a commenté Christopher Dembik, analyste chez Saxo Banque. Qui souffre dans cette guerre économique ? Cette guerre du pétrole touche principalement les pays dont les relations avec l'Arabie saoudite et les Etats-Unis ne sont pas au beau fixe. A commencer par la Russie. Moscou est le troisième plus gros producteur de brut derrière les Etats-Unis et l'Arabie saoudite et le deuxième plus gros exportateur après Ryad. L'an dernier, les exportations de pétrole ont représenté 174 milliards de dollars de recettes, dépassant en valeur toutes les autres énergies exportées. Avec un baril à moins de 60 dollars, le pays de Vladimir Poutine souffre. D'autant plus que le rouble a dévissé de 50% face au dollar, sa plus forte baisse depuis la crise financière de 1998. Le gouvernement prévoit déjà une récession (-0,8%) l'année prochaine après une croissance limitée à environ 0,6% cette année. La banque centrale russe a averti que si les cours du pétrole restaient à leur niveau actuel, autour de 60 dollars le baril, le produit intérieur brut pourrait en fait chuter d'au moins 4,5% en 2015. L'Iran, déjà étranglé par des sanctions internationales et une chute de sa devise, est aussi sévèrement touché. Le pays, qui tire l'essentiel de ses devises étrangères de l'exportation de pétrole, pourrait aussi voir son PIB amputer de 5%. «Il est déplorable que les pays de la région ne coopèrent pas sur la chute des prix du pétrole et leurs conséquences négatives», s'est insurgé le chef de la diplomatie iranienne lors d'une visite à Téhéran du président du Parlement irakien Salim al Djabouri. Le Venezuela, qui avait bâti son budget autour d'un baril à 120 dollars, est aussi très impacté. «Il y a des rumeurs de défaut de paiement imminent», note Christopher Dembik. D'après les observateurs, cette guerre du pétrole pourrait accentuer les tensions géopolitiques dans le monde et plus spécifiquement au Moyen-Orient. H. G. In le figaro