Le défunt Mohamed Lammari était un général baroudeur qui avait aussi le sens de la formule politique, notamment de celle qui fait mouche. Et alors même qu'il était encore aux affaires militaires, il avait dit que l'Algérie avait vaincu militairement l'intégrisme mais qu'elle n'avait pas pu le défaire sur les autres terrains de sa survie et de son épanouissement. Il avait précisé alors que la lutte contre le mal extrémiste n'était pas l'apanage de l'armée, mais relevait d'une conjugaison des efforts de l'Etat et de la société. Le temps lui a donné malheureusement raison et conféré à sa sentence un goût encore plus amer. Ainsi, constate-t-on, plus d'une décennie plus tard, que si le terrorisme a baissé d'intensité et de nuisance récurrente, il est en revanche toujours prospère, avec moult visages, différentes formes d'expression et un nombre varié de théâtres d'opération à l'intérieur et surtout à l'extérieur des frontières de l'Algérie. Il a fallu donc attendre que l'hydre méphistophélique élargisse encore l'étendue de l'horreur terroriste et que l'extrémisme soit d'une grande vitalité à travers le monde, pour qu'on réfléchisse à créer en Algérie un observatoire des extrémismes. Louable intention d'un ministre des Affaires religieuses volontariste et courageux, en l'occurrence le sympathique et méritant Mohamed Aïssa. Certes, il n'est jamais trop tard pour bien faire. Mais beaucoup de temps a été perdu à s'attaquer exclusivement aux effets sécuritaires du problème du terrorisme et à oublier ses causes religieuses, politiques, économiques et sociales. Trop de temps perdu à laisser l'ANP et l'ensemble des services de sécurité du pays affronter seuls le monstre terroriste qui dispose aujourd'hui d'espaces extérieurs de projection en Algérie. Comme l'ont montré l'attaque contre le complexe gazier de Tiguentourine et les attentats perpétrés par le Mujao dans le Sahara algérien. Il faut donc applaudir l'initiative de ce ministre du Culte si iconoclaste qui invite à s'attaquer aux racines du mal en affrontant le salafisme obscurantiste, sous toutes ses formes et sur tous les terrains. A commencer par les mosquées et les prêches qu'il veut conformer, de la façon la plus stricte à l'orthodoxie malékite, beaucoup moins rigoriste et rétrograde que les différentes formes de salafisme d'essence wahabite. Un wahabisme qui a trouvé sur Internet, les télévisions satellitaires, l'école, les entreprises et une certaine presse arabophone, un terreau des plus fertiles. Il faudrait donc que la République et le rite malékite, rite éclairé et du juste milieu, réinvestissent d'abord les mosquées. Un réseau de près de vingt mille mosquées animées par vingt-cinq mille imams rémunérés par l'Etat mais dont une partie constitue une cinquième colonne pour l'intégrisme pourvoyeur de terrorisme. Il faudrait aussi, dans la foulée de cette réappropriation républicaine, contrôler tout aussi rigoureusement les salles de prières spontanées dont nul ne connaît, à ce jour, le nombre exact. Il faudrait aussi «neutraliser» l'école où certains enseignants s'improvisent en imams officiant durant les prières du jour, en pleines classes ! Il faudrait aussi nettoyer au Karcher les manuels scolaires, creuset de l'obscurantisme salafiste, qui a aussi ses pôles de propagation que sont, par excellence, Internet et nombre de journaux arabophones disposant de leurs exégètes salafistes attitrés. Pour y parvenir, l'Etat doit s'en tenir à la vulgate malékite et veiller sévèrement à son strict respect dans tous les espaces de la vie publique. Avec notamment comme moyen de réalisation et comme gage de cohérence, la création du poste de Mufti de la République, garant d'une exégèse conforme à l'esprit de tolérance et de pacifisme du malékisme. Des Mohamed Aïssa, il faudrait qu'il y en ait éventuellement à tous les étages de l'Etat et dans toutes les travées de la République. Le salut est au prix de la multiplication de leur nombre. Afin de vaincre l'intégrisme sur les terrains autres que militaire. «Un des principaux obstacles aux progrès de l'humanité et de la connaissance, ce n'est ni la foi, ni l'absence de foi, comme on l'a pensé au cours des siècles précédents : c'est la certitude dogmatique, de quelque nature qu'elle soit. Parce qu'elle finit par engendrer le rejet de l'autre, l'intolérance, le fanatisme, l'obscurantisme», disait le philosophe Frédéric Lenoir, spécialiste des religions. N. K.