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Chani Madjdoub : «C'est un mensonge d'Etat, une affaire politique et
Début des auditions dans l'affaire autoroute Est-Ouest
Publié dans La Tribune le 28 - 04 - 2015

Au deuxième jour du procès de l'affaire dite de «l'autoroute Est-Ouest» et après avoir réservé la matinée à terminer la lecture des conclusions de l'arrêt de renvoi, le juge de l'audience a commencé les auditions à la barre. Le premier à être appelé est Ouazane Mohamed dit le Colonel Khaled. Cet ancien cadre des services de renseignement (DRS) qui a occupé un poste au ministère de la Communication, ensuite au ministère de la Justice, avant de rejoindre celui des Travaux publics, s'est bien défendu. D'ailleurs, il commence son récit en disant : «Je suis étonné d'être présent aujourd'hui devant vous.» Le Colonel Khaled donnera des explications à tout : ses relations avec les accusés, des justificatifs pour les sommes qui lui ont été versées par Chani Madjdoub, le principal accusé dans cette affaire, ainsi que sur les biens acquis.
Calmement, le colonel Khaled affirme connaître Bouchama Mohamed, le secrétaire général du ministère des Travaux publics depuis au moins une quarantaine d'années : «Je connais Bouchama depuis 1977. Je connais également son épouse qui a partagé les bancs de l'école avec moi.» Il ajoutera que sa relation avec Chani a commencé pendant l'affaire du Faki (Fonds algéro-koweitien) dans laquelle Chani a été accusé et condamné. Le colonel Khaled affirme que des «amis» communs lui ont demandé son avis sur le cas de Chani qui était sous mandat d'arrêt international et qui voulait rentrer au pays pour régulariser sa situation. Selon ses dires, il n'a pas eu à intervenir dans cette affaire, mais juste à conseiller à Chani de se rendre à la justice, de vider son mandat d'arrêt et de suivre la procédure. «Il y a eu beaucoup de rumeurs sur cette affaire, mais je n'en ai jamais fait cas, car j'ai l'habitude des rumeurs», a-t-il dit faisant allusion aux déclarations de certains, assurant que le Colonel Khaled et grâce à son poste au ministère de la Justice a réussi à «régler» le problème de Chani, une fois l'affaire transmise au niveau de la Cour suprême. Toujours très calme et méthodique dans son récit, le colonel Khaled affirmera ensuite que sa relation avec Chani s'est développée pour devenir une «relation d'amitié intime». «On a découvert qu'on avait des liens de famille, on est devenu alors de plus en plus intimes. Il venait souvent chez moi, connaît ma famille etc.» Le colonel Khaled affirme avoir refusé de présenter Bouchama à Chani quand ce dernier lui a demandé de le rapprocher des responsables du ministère des Travaux publics. «Mais à partir du moment où Chani a réussi à rencontrer Bouchama par le biais de Melzi, le directeur de la résidence d'Etat et qu'il avait un rendez-vous avec lui, j'ai estimé qu'il n'y avait aucun mal à accompagner un ami qui allait rencontrer un autre ami à moi».
Le juge l'interrompe et tente de le piéger. «Comment Chani s'est-il présenté chez Bouchama ? A-t-il affirmé être un représentant des entreprises chinoises en Algérie?» Le colonel Khaled ne répondra pas directement à la question se suffisant de dire qu'il avait une confiance aveugle en son ami Bouchama, «un cadre honnête, aux qualités exemplaires et d'une probité parfaite en plus du fait que c'est un ami. S'il m'avait dit qu'il avait le moindre doute sur Chani, je l'aurais pris en compte». Il ajoutera : «Je considérais que faire avancer le projet de l'autoroute Est-Ouest qui est un projet national est en soi une bonne action pour le pays.» Revenant sur Chani, le colonel tient à rappeler que ce dernier «est un universitaire, professeur en droit qui a obtenu un doctorat à la Sorbonne et qui a comme activité ''l'ouverture des comptes off-shore'', ce qui n'est pas connu en Algérie». Le juge ne rate alors pas de l'interpeller. «Pourquoi Chani a-t-il donc déclaré vous avoir remis des commissions de plusieurs millions de dinars ?» «Il y a eu quatre auditions et moi, je me réfère à la dernière», lache le colonel Khaled sachant bien que l'accusé Madjdoub s'était rétracté lors de sa dernière audition. «Vous avez passé combien d'années au DRS ?», demande le juge.
«30 ans», réponds le colonel. «Pensez-vous que la police judiciaire puisse inscrire des déclarations qui n'ont pas été faites par l'accusé ? Est-il victime ?», insiste le juge. Le colonel Khaled, saisissant la portée de la question est un peu gêné. Il fini par lâcher : «Non, je ne dis pas cela Monsieur le juge, je dis seulement qu'il a fait quatre auditions et que moi je me réfère à la dernière.» «Pourquoi est-ce que Chani, même s'il est votre cousin par alliance vous donne-t-il 50 millions, 500 millions, 2 milliards... ou achète-il une voiture pour votre épouse ? Et ces sommes ont été versées durant la période du projet autoroute Est-Ouest», renchérit le juge Hallali. «Il ne m'a rien donné», lance alors le colonel Khaled qui prendra quelques minutes pour revenir sur son enfance et sa carrière. Il détaillera par la suite les raisons des sommes qui lui ont été versées par Chani. Le colonel Khaled commencera par la villa d'Oran qu'il dit avoir acquis en 2004 pour la somme de 520 millions de centimes en recourant à un prêt Cnep. En 2006, il obtient un logement auprès de l'Eplf Boumerdès. Il affirme que l'appartement acquis à Staouali «Horizon Bleue» est celui de Chani. Quand à la villa d'El Biar qu'on lui avait proposée après le désistement d'un client, il soutient que Chani a décidé de l'acquérir pour la somme de 17 millions de dinars car, lui, il n'avait pas cette somme. «Chani m'a donné l'argent et je l'ai versé dans le compte de la coopérative privée. J'ai les documents qui le prouvent et j'ai dit au juge d'instruction que je devais cette somme à Chani. Mais quand l'affaire de l'autoroute Est-Ouest a éclaté, je me retrouvais endetté, j'ai alors retiré l'argent de la coopérative pour le verser dans l'acquisition du logement de Staouali». Enfin, le colonel Khaled explique que le reste des versements est lié à la vente de sa villa d'Oran à Chani et que ce dernier l'a acquise pour payer la prestation de Cheb Khaled. Voyant que le colonel Khaled a trouvé des explications à toutes les sommes qui lui ont été versées, le juge Hallali demande : «Il y a une mauvaise foi quelque part. Pourquoi est-ce que Chani enregistre toutes ces sommes dans sa comptabilité alors ?» Le colonel Khaled ne répondra pas à cette question, mais insiste : «Je n'ai rien reçu de Chani et je lui dois 17 millions de dinars. J'occupais peu- être un bon poste au ministère, mais je n'avais aucune influence sur le SG. Le temps où un colonel du DRS avait de l'influence est bien révolu !» Quand le procureur général lui demandera comment une personne aussi expérimentée que lui, étant un haut fonctionnaire du DRS, a pu se lier d'amitié avec Chani, tout en sachant que ce dernier avait des démêlées avec la justice et était même recherché, les avocats s'indignent et reprochent au représentant du ministère public de tenir de tels propos. Pour détendre l'atmosphère, le juge Hallali rappelle gentillement le procureur à l'ordre. «Choisissez d'autres termes et désignez l'accusé en disant
''Monsieur Chani''». Mais le colonel Khaled semble avoir réponse à tout. «Chani est un homme d'affaires algérien qui possède des entreprises ici en Algérie et à l'étranger. Il a respecté la procédure en ce qui concerne son affaire de justice. En plus je suis un officier du DRS et mon travail c'est l'information, alors si je devais appliquer l'obligation de réserve, je ne pourrai plus assurer mon travail.» En prenant la parole, l'avocat de Chani, Me Sidhoum insistera pour pousser l'ancien colonel du DRS à répondre sur les raisons qui ont poussé son client à se rétracter. Une manière de le pousser à dire qu'il y a eu peut-être «des pressions» ou même «torture». Mais le colonel Khaled restera de marbre. Il ne cessera de répéter que si Chani Madjdoub s'est rétracté, «c'est parce que les dispositions ne sont pas les mêmes». «Qu'est-ce que cela signifie ?», insiste Me Sidhoum. Le colonel Khaled ne répondra pas et n'évoquera même pas l'obligation de réserve. Sourire aux lèvres, le juge Hallali lache à l'adresse de l'accusé : «Votre réponse risque de vous mettre dans l'embarras.»
Sera appelé à la barre juste après, Chani Madjdoub. Ce dernier est décidé. «Laissez-moi tout vous raconter Monsieur le juge. Je suis décidé à me défendre», commence-t-il par dire dès que la parole lui est accordée. «Je n'ai pas détourné l'argent du Faki. Il s'agit de mon premier investissement en Algérie et j'ai perdu beaucoup d'argent dans cette affaire. Je suis un homme d'affaires au Luxembourg, connu par les ambassades et les services de sécurité. Je suis financier et je vais vous prouver par la suite que j'ai essayé d'apporter des investisseurs pour mon pays.» Le juge Hallali tente de rassurer Chani dont la voix tremble. «Calmez-vous, on va vous écouter.» Chani tente de se calmer, mais n'y arrivera pas. Il reviendra sur son parcours, sur le fait qu'il est très connu et estimé à l'étranger et comment il a été traité dans son pays. Il expliquera en long et en large, l'affaire du Faki et comment il s'est fait «arnaquer» par El Mili Anouar, le principal accusé dans cette affaire qui est toujours en fuite à l'étranger depuis près d'une dizaine d'années. En s'attardant sur l'affaire Faki, Chani faisait peut- être diversion et le juge le ramènera à nouveau à parler du procès en cours. Chani expliquera alors comment il a été contacté dans un premier temps par les Chinois pour être à la tête d'une délégation chinoise au Gabon. Manière de prouver que ses relations avec les entreprises étrangères étaient établies bien avant son intervention en Algérie. Il affirmera ensuite qu'il a été sollicité pour régler un problème de «garanties bancaires» exigées pour les entreprises chinoises en Algérie. Ce qu'il réussit à faire sans trop de difficultés et c'est à ce moment-là qu'il a obtenu, selon ses dires, un contrat pour être «consultant» de l'entreprise Citic. Il reviendra ensuite sur son arrestation par le DRS et la torture qu'il a subi. Chani Madjdoub va sangloter : «Nu, à genou et face au mur, c'est ainsi que j'ai été auditionné pendant 20 jours.» Tout en pleurant, il parlera de son neveu, également arrêté par le DRS et torturé. «J'ai vu mon neveu Larbi, qui n'a que 21 ans, nu, recroquevillé en train de pleurer.» Chani soutient : «On m'a demandé d'avouer et de dire la vérité ; alors j'ai soutenu que c'est ce que je faisais depuis mon arrestation. Ils ont dit ‘‘tu vas dire ce qu'on te demande devant le juge d'instruction et n'oublies pas qu'on garde ton neveu à notre niveau''. Quand il y a une menace aussi grave sur vous, vous vous accusez de tout Monsieur le juge.» «Aujourd'hui je peux vous assurer que tout ce que j'ai déclaré devant le juge d'instruction est faux. C'est un gros mensonge d'Etat. C'est une affaire politique et je ne suis qu'un marchepied. On m'a dicté tout ce que je devais dire.»
H. Y.


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