A la Bourse de Francfort. Le DAX est brièvement repassé lundi au-dessus des 10 000 points, tandis qu'à Wall Street le S&P 500 et le Dow Jones ont clôturé au plus haut de l'année, vendredi 11 mars Il y a un mois, ils cédaient à la panique, terrifiés à l'idée d'un krach, que d'aucuns dépeignaient déjà comme un remake de la crise des subprimes de 2008. Aujourd'hui, les voici de nouveau pleins d'allant, les indices enchaînant les séances de hausse. Pourquoi diable les investisseurs ont-ils si soudainement retourné leur veste ? Lundi 14 mars, le CAC 40 est repassé au-dessus du seuil symbolique des 4 500 points. Depuis son plus bas du 11 février, à moins de 3 900 points, l'indice de la Bourse de Paris a regagné plus de 15 % ! Même enthousiasme sur les autres places mondiales : à Francfort, le DAX est brièvement repassé lundi au-dessus des 10 000 points, tandis qu'à Wall Street le S&P 500 et le Dow Jones ont clôturé au plus haut de l'année, vendredi 11 mars. L'ampleur de ces mouvements déstabilise jusqu'aux spécialistes du secteur. «Même nous, nous sommes surpris», admet Christian Parisot, économiste chez Aurel BGC, pour qui la purge du mois dernier était toutefois excessive. Les investisseurs institutionnels jouent moins Principal responsable de l'optimisme retrouvé des marchés, le rebond du pétrole, passé de moins de 30 dollars le baril, fin janvier, à plus de 40 dollars, en mars. L'accord intervenu mi-février à Doha sur un gel de la production entre le Qatar, l'Arabie saoudite, la Russie et le Venezuela a été pour beaucoup dans l'inversion de la tendance. Les craintes sur l'économie américaine se sont aussi atténuées. «Même si l'industrie manufacturière souffre, les services, qui représentent les trois quarts de l'économie, restent solides», souligne Sylvain Goyon, responsable de la stratégie actions chez Natixis Global Research. Quant au spectre de faillites en série dans l'industrie pétrolière, et au risque de contagion au secteur bancaire, ils se sont éloignés à la faveur de l'embellie des cours du pétrole. «L'effet de ciseau, vécu en deux mois et demi, montre à quel point la volatilité est forte sur les marchés» Les incertitudes venues de Chine ont été pour l'heure dissipées par les discours rassurants des dirigeants de la Banque centrale, assurant qu'ils ne procéderaient pas à des dévaluations compétitives – comprendre rapides et agressives – de la devise chinoise. Ajoutez à cela une salve de mesures inédites dévoilée par la Banque centrale européenne (BCE) le 10 mars, et voilà les investisseurs de nouveau gonflés à bloc… jusqu'à la prochaine déprime. «L'effet de ciseau, vécu en deux mois et demi, montre à quel point la volatilité est forte sur les marchés», prévient M. Parisot. Et ce, sur l'ensemble de la planète finance. Le VIX, dit «indice de la peur», qui mesure la volatilité à venir du marché à travers les options d'achat ou de vente placées sur le S&P 500, évolue en moyenne à un niveau supérieur de 32% à celui de la même période de 2015, soulignent les analystes de Bloomberg. Quant aux embardées du S&P 500, si elles continuent au rythme de ce premier trimestre, elles devraient faire de 2016 l'année la plus volatile à Wall Street depuis… 1938 ! Ces fluctuations s'expliquent aussi par des raisons plus techniques. Les investisseurs institutionnels – assureurs, fonds de pension – jouent moins qu'auparavant leur rôle de stabilisateur des marchés. «Ils ont une vision plus court-termiste que par le passé. Aux Etats-Unis, ils sont vendeurs net d'actions», remarque M. Parisot. En Europe, les nouvelles normes de solvabilité financière les incitent à délaisser les actifs risqués, comme les actions. Pourquoi ? Car ils doivent en contrepartie immobiliser davantage de fonds propres, ce qui leur coûte cher. «Conséquence, les robots et autres hedge funds, dont les stratégies amplifient les tendances des indices, ont plus de poids sur les marchés, ce qui accentue la volatilité», souligne Maxime Alimi, économiste chez Axa IM. Les obligations ne sont pas en reste. «Le segment du haut rendement est particulièrement volatil en raison de l'accroissement du risque de crédit lié à la détérioration de l'économie et d'une liquidité devenue moindre sur cette classe d'actifs», note Olivier Raingeard, directeur des investissements de la banque Neuflize OBC. Même les emprunts d'Etat ne sont pas immunisés, le mini-krach obligataire d'avril 2015 sur les titres de la zone euro est là pour le rappeler. En cause, cette fois, les politiques de rachats d'actifs menées par les banques centrales. «Celles-ci assèchent le compartiment des obligations d'Etat. Or, lorsqu'un marché est peu liquide, on s'expose forcément à des variations de prix plus violentes», explique M. Alimi. Pour les particuliers, difficile de naviguer dans des conditions aussi extrêmes. «A moins d'être un investisseur aguerri, les épargnants sont désarmés. Avec une telle volatilité, qu'ils achètent ou qu'ils vendent, ils sont quasiment certains de le faire au mauvais moment», prévient Philippe Crevel, directeur du Cercle de l'épargne. Les introductions en berne Le coup de froid du début d'année n'aurait toutefois pas entraîné de mouvement de panique chez les petits porteurs. «Nous n'avons pas enregistré de ventes massives, nos clients commencent à être habitués à ces soubresauts», note Benoit Grisoni, directeur général de Boursorama Banque. Habitués, ou résignés, toujours est-il que le nombre d'actionnaires individuels n'a cessé de fondre au fil des krachs. «Ils ne sont plus que 3 millions en France, contre 2,5 fois plus en 2000», précise M. Crevel. L'extrême nervosité boursière a déjà fait une victime : le marché des introductions en Bourse. Valoriser une entreprise et fixer son prix de cotation tourne au casse-tête lorsque les indices réalisent de tels mouvements de balancier. «Il n'y a eu aucune opération depuis le début de l'année à Paris. La volatilité est l'ennemie des introductions, car l'investisseur a du mal à prendre position. Les candidats préfèrent alors retarder leur processus et attendre qu'une tendance se dessine», explique Philippe Kubisa, associé spécialiste des marchés de capitaux chez PwC. Et les prochains jours, avec une réunion très attendue de la Fed (Banque centrale américaine) les 15 et 16 mars, risquent encore d'être mouvementés. Janet Yellen, la présidente de l'institution, ne devrait pas remonter les taux directeurs après le premier tour de vis de décembre 2015. Mais «si les propos de Mme Yellen font monter le dollar, donc reculer le prix du pétrole, je ne serais pas étonné d'une rechute des marchés», pronostique M. Parisot. De fait, les signes de fragilité de la conjoncture mondiale demeurent. Et ne sont pas près de s'estomper. «Au quatrième trimestre, les résultats des entreprises européennes ont stagné, ceux des américaines ont reculé, plombés par le secteur pétrolier. La grande question des investisseurs : “quel est le niveau de long terme de la croissance mondiale ?”, n'a pas encore trouvé de réponse», conclut M. Goyon. F. C. / A. T.