Tous les prix sont tirés vers le bas. Les producteurs essayent de trouver des acheteurs dans les zones les plus proches de leurs usines, même si le coût de l'affrètement a aussi baissé. Jusqu'à présent, absents de cette activité, des acteurs comme Glencore, Vitol ou Trafigura se sont lancés dans le négoce au jour le jour du GNL, qui devient une matière première (commodity) comme le pétrole. Des experts n'hésitent pas à prédire qu'à la fin de la décennie, près de la moitié du gaz liquéfié s'écoulera sur le marché spot Il y a quelques années, le gaz naturel liquéfié (GNL) était promis à un bel avenir, notamment en Australie. Ce pays prévoyait d'en devenir le premier producteur mondial en 2018-2020, une place aujourd'hui occupée par le Qatar. La chute des prix de l'or bleu en Asie dans le sillage de ceux du pétrole, le ralentissement économique de la Chine et l'incertitude sur la demande future ont sonné le glas – momentanément sans doute – de cette ambition, comme en témoigne l'abandon ou le report de plusieurs projets majeurs au cours des derniers mois. Browse est la dernière victime de cette crise mondiale. Le groupe australien Woodside a annoncé, jeudi 24 mars, la suspension de ce projet de 26 milliards d'euros auquel participaient aussi Shell, BP, Petrochina et deux groupes japonais. A la grande «déception» du gouvernement Canberra, qui a pourtant reconnu «le contexte très difficile dans le secteur de l'énergie». PourPeter Coleman, le directeur général du groupe, «l'environnement économique n'est en ce moment pas favorable aux investissements dans le GNL». Le marché de l'«or bleu» est dominé par les acheteurs qui cherchent à imposer leurs conditions C'est le moins qu'on puisse dire. Dès juin 2014, toujours en Australie, le français Engie et son partenaire local Santos avaient annoncé l'abandon du projet Bonaparte, une usine flottante de liquéfaction de gaz, en raison d'une rentabilité prévisionnelle trop faible. Si Total a chargé sa première cargaison en octobre 2015, depuis son site Gladstone LNG (Queensland), un événement présenté comme «une étape majeure dans le développement de l'activité en Australie», il a dû déprécier cet actif dans ses comptes 2015. Shell a renoncé à des projets en Amérique du Nord et Woodside au développement du gisement israélien de Léviathan en Méditerranée orientale. Dans les années 2000, ce sont les vendeurs de gaz qui avaient la main sur un marché tendu où les prix étaient élevés, surtout en Asie, importatrice de 70% du GNL mondial. En forte surcapacité, ce marché est désormais dominé par les acheteurs, qui cherchent à imposer leurs conditions : des prix plus bas et plus de flexibilité dans la destination des cargaisons (sans demander l'accord du vendeur) ou les dates de livraison. Les exemples abondent. Le groupe indien Petronet a ainsi âprement renégocié à la baisse ses contrats avec le Qatari RasGas, qui aurait perdu 1 milliard de dollars (894 millions d'euros) dans l'affaire. D'autres ont obtenu d'acheter des cargaisons au prix au jour le jour (spot), sans tenir compte des clauses de leurs contrats à long terme. Les acheteurs cherchent à obtenir des contrats plus courts (5 à 10 ans) pour ne pas trop se lier les mains avec leurs fournisseurs. Pas de visibilité Tous les prix sont tirés vers le bas. Les producteurs essayent de trouver des acheteurs dans les zones les plus proches de leurs usines, même si le coût de l'affrètement a aussi baissé. Jusqu'à présent, absents de cette activité, des acteurs comme Glencore, Vitol ou Trafigura se sont lancés dans le négoce au jour le jour du GNL, qui devient une matière première (commodity) comme le pétrole. Des experts n'hésitent pas à prédire qu'à la fin de la décennie, près de la moitié du gaz liquéfié s'écoulera sur le marché spot. Cette situation, plus chaotique et imprévisible qu'auparavant, ne fait pas l'affaire de Total, Shell, ExxonMobil ou BP. Les majors ont besoin de visibilité et de stabilité avant d'engager la construction de trains de liquéfaction du gaz qui coûtent 3 à 4 milliards de dollars l'unité. Cela passe par la prévente d'une grande partie de leur future production dans le cadre de contrats à long terme. Des projets comme ceux de l'américain Anadarko ou de l'italien Eni au Mozambique, où ils ont découvert d'énormes réserves gazières offshore depuis 2010, sont en attente et il n'est pas sûr qu'ils prennent leur décision finale d'investissement comme prévu en 2016. En dépit de prix très bas, tous les projets n'ont donc pas été arrêtés. Après avoir investi 54 milliards de dollars avec plusieurs partenaires depuis 2009 en Australie, Chevron a mis en production son site Gorgon et chargé un premier méthanier mi-mars. ExxonMobil a mis en service son usine de Papouasie-Nouvelle-Guinée en mai 2015. Diversification des sources d'approvisionnement Et pour son projet australien Prélude, Shell n'a pas arrêté la construction en Corée du Sud de sa plate-forme d'extraction et de liquéfaction de gaz, qui sera le plus grand objet flottant au monde. Aux trente-sept usines de liquéfaction fonctionnant dans le monde s'en ajouteront douze d'ici à 2020. Une vingtaine d'autres sont planifiées et trente restent au stade des études préliminaires. Total n'a pas pour autant arrêté le développement d'Ichthys, son autre projet australien dont le démarrage est «prévu pour 2017», indique le groupe. Dans le Grand Nord russe, il n'a pas davantage renoncé à Yamal LNG. Pas plus que Gazprom à ses projets d'usine de liquéfaction sur la Baltique et à Vladivostok (orient russe), ni Rosneft au développement de Sakhaline. Tous ont prévendu l'essentiel de leur production. Aux Etats-Unis, qui vont bousculer le marché en exportant leur gaz de schiste, l'administration fédérale a déjà autorisé cinq usines, dont celles de Cheniere Energy et de Sempra associé à Engie. En 2020, l'offre de GNL s'accroîtra de 30% par an, alors qu'un quart de la production ne trouvera pas preneur, préviennent de nombreux analystes. Reste que le GNL est prometteur à moyen-long terme. Il offre une diversification des sources d'approvisionnement, et donc plus de sécurité aux pays consommateurs. En Europe, il ne pèse que 10% de la demande alors que l'essentiel arrive encore par gazoduc. Dans sa stratégie énergétique, présentée mi-février, la Commission de Bruxelles a décidé de soutenir la construction de terminaux de regazéification. Objectif : limiter la dépendance à la Russie, qui fournit 19% du gaz utilisé sur le Vieux Continent. Une part qui, quoi qu'il en soit, devrait augmenter. J-M. B.