Entretien réalisé par Samira Imadalou Dans cet entretien, l'expert économique Abdelhak Lamiri estime que même si la conjoncture mondiale actuelle est défavorable, l'Algérie devrait lancer une stratégie économique globale avant d'aller vers une stratégie industrielle. L'expert souligne également qu'à la veille de l'élection présidentielle, le gouvernement a raison de différer la décision finale. LA TRIBUNE : Deux années sont passées depuis l'organisation des Assises nationales sur la stratégie industrielle. Beaucoup d'encre a coulé au sujet de cette stratégie après la présentation de la politique mais, concrètement, il n'y a pas eu d'avancée. Pourquoi à votre avis ? Abdelhak Lamiri : En premier lieu, la conjoncture internationale a fortement changé. En second lieu, nous sommes à la veille des élections présidentielles. Le gouvernement a raison de différer la décision finale. Le prochain gouvernement, même s'il sera le même, aura cinq ans devant lui pour exécuter cette stratégie. Il convient donc de mieux affiner les décisions en fonction d'une nouvelle donne que personne n'a prévu. Deux ans, c'est long dans la vie d'un être humain mais court pour une nation. Nous avons eu des concertations sur des projets sectoriels qui ont duré des années en Corée ou au Japon, mais l'issue finale a débouché sur des plans sectoriels ou des stratégies globales très bien ficelés. Espérons que c'est le cas. Est-ce que les dernières mesures prises par le gouvernement en matière de foncier industriel, d'investissements et de création de 13 entreprises championnes entrent, selon vous, dans le cadre de cette stratégie ? L'Etat possède une logique et des données que les experts n'ont pas. Il me semble que pour le foncier nous avons assisté à des améliorations substantielles de la situation. Beaucoup reste à faire, mais nous avons déjà pris de bonnes décisions. Pour les treize entreprises à créer, j'ai un autre point de vue sur la question. Les nombreux diagnostics de terrain que nous avons eu à mener récemment me permettent de dire qu'une dizaine d'entreprises championnes dans toutes les filières, agroalimentaire, mécanique, travaux publics etc. existent déjà. Elles sont étouffées par une bureaucratie et un système bancaire archaïques. Ce n'est pas la peine de créer ex nihilo ces entreprises. Il faut dire que la vaste majorité de nos entreprises sont sous-gérées. Nous avons été agréablement surpris par quelques dizaines d'entreprises dans tous les domaines qui ont la capacité de devenir de futurs champions internationaux. On parle actuellement de la préparation d'une nouvelle mouture dans la politique de stratégie industrielle… C'est en somme la confusion. Qu'est-ce qui explique cette situation ? Pour ma part, je pense que le gouvernement adoptera une attitude finale sur le projet après les élections présidentielles. Deux ans de concertations intenses ne sont pas de trop pour un projet de cette ampleur. Par ailleurs, nous avons eu beaucoup d'input sur la question. Il faut beaucoup de temps et de ressources pour faire la part des choses. En tant qu'expert, que préconisez-vous pour booster l'industrie et instaurer un système économique productif tel que souhaité par le Président ? J'ai eu à intervenir sur la question à maintes reprises. On ne peut pas concevoir une stratégie sectorielle (industrielle, agricole, éducative ou autre) sans stratégie globale. Par ailleurs, dans l'ordonnancement des réformes, de transition ou de développement, la meilleure manière d'opérer débute par le développement qualitatif humain, puis la modernisation managériale. Il manque beaucoup de chaînons institutionnels pour créer cette stratégie globale à l'intérieur de laquelle va s'insérer la stratégie industrielle. Je n'ai aucune information sur le document final de la stratégie industrielle. Je ne pourrais pas évaluer ses forces et ses insuffisances. Il y a beaucoup d'alternatives possibles pour maturer un projet de stratégie industrielle. Personne ne détient la vérité absolue dans ce domaine. La meilleure manière c'est de se concerter pour prendre les meilleures idées de tous les Algériens impliqués. Une autre alternative consiste à créer 500 000 PME/PMI, avec toute l'ingénierie managériale requise, sur les cinq prochaines années et accompagner les champions qui se développent le plus à côté des meilleures entreprises publiques et privées existantes. La conjoncture actuelle est-elle favorable à cette stratégie industrielle ? Même si la conjoncture est défavorable, c'est maintenant qu'il faut commencer. La crise va durer entre deux et cinq ans, selon les analyses des systèmes économétriques les plus lourds. Il nous faut entre 3 et 5 ans pour commencer à voir les premiers résultats de cette stratégie. Cependant, il faut une stratégie globale en premier lieu (nationale) avant d'aller vers une stratégie industrielle.