Avant de faire disparaître Mehdi Ben Barka, son ex-prof de maths, Hassan II aurait dit au général Mohamed Oufkir «j'ai une équation à résoudre». François Hollande, lui, a une équation d'une autre nature à régler. Equation à une seule inconnue : dire, au-delà de son hommage rendu à Alger à Maurice Audin, la vérité sur son assassinat par les parachutistes français le 21 juin 1957. Il aurait alors fait preuve de courage intellectuel et d'audace politique, mais il ne l'a pas fait. Le risque politique était peut-être trop gros pour un chef d'Etat dont la cote d'amour auprès des Français est actuellement dans les abysses. Cinquante-neuf ans après la «disparition» de ce mathématicien algérien, trois semaines après son arrestation le 11 juin 1957 par les paras de Massu, la France officielle continue de s'emmurer dans le mutisme. Elle n'admet toujours pas les choses telles qu'elles se sont déroulées à la villa des Tourelles à El Biar où, on le sait désormais, l'assassin du militant communiste avait un nom, un prénom et un grade dans l'armée française. On ne l'ignore plus grâce à un manuscrit du colonel Godard, ancien commandant de la zone Alger-Sahel, exhumé par Nathalie Funès, journaliste du Nouvel Observateur, dans les archives d'une université américaine. Mais aussi, à la faveur des déclarations du sinistre général Aussaresses à une autre consœur française, Florence Baugé. Ce criminel de guerre faisait partie de «l'état-major de la main gauche» en charge des basses besognes, en fait un escadron de la mort. On sait donc que le tueur de Maurice Audin, après d'atroces tortures, s'appelle Gérard Garcet, aide de camp du général Massu et ancien résistant antinazi, désigné nommément par le colonel Godard comme le lieutenant qui l'a exécuté. Et pourtant la hiérarchie de l'armée française, Massu et Bigeard en tête, ont tous juré sous serment devant le juge que le moudjahid Audin s'était enfui. Et qu'il aurait disparu depuis. On a dit d'ailleurs la même chose à propos des «disparitions» de Larbi Ben Mhidi et Cheikh Larbi Tebessi. Normalement, François Hollande ou son successeur devrait admettre la vérité historique. Dans sa réponse à Josette Audin, veuve de notre chahid, qui lui a adressé en 2012 une lettre exigeant que «la vérité soit connue et reconnue», le chef de l'Etat français avait écrit, noir sur blanc : «Plus de cinquante après la fin de la Guerre d'Algérie, l'Etat français doit faire face à ses responsabilités et au devoir de vérité qui lui incombe envers vous et votre famille d'abord mais également envers l'ensemble des citoyens.» Mais le Normand qu'il est s'est défait de sa promesse solennelle et s'est du coup déconsidéré en faisant une promesse de Gascon. Déjà, durant la campagne des présidentielles de 2012, il avait fait une promesse lourde de sens à Georges Tronel de l'Association Maurice Audin. Il avait évoqué alors l'enquête du Nouvel Obs «révélant pour la première fois l'identité probable de l'assassin de Maurice Audin.» Plus remarquable encore, il avait précisé qu'il croyait «utile que la France présente des excuses au peuple algérien.» Et lorsqu'il avait promis à la veuve d'Audin qu'il lui remettrait tous les documents liés à son assassinat, Hollande n'avait pas précisé si cela impliquait une levée du secret-défense sur toutes les pièces. Dans ce dossier, rien ne dit en effet que des traces écrites d'un ordre d'exécution soient disponibles. En revanche, des témoins existent bel et bien. Ils sont encore vivants et la justice française devrait les entendre. Entre autres, l'assassin Gérard Garcet qui, à quatre-vingts ans, coule une paisible retraite en Bretagne. Il y avait surtout Paul Aussaresses que la Justice française n'a pas daigné interroger avant sa mort en 2013. N. K.