«Nous pouvons organiser de grands Jeux olympiques, mais si certaines mesures ne sont pas prises, ça peut aussi être un immense échec» Les Jeux olympiques de Rio de Janeiro commencent dans un peu plus d'un mois et la situation sur place n'est pas idéale. Retards de construction, crise politique et récession au niveau national, situation économique catastrophique au niveau local, grèves, un virus transmissible par les moustiques qui incite de nombreux athlètes à déclarer forfait, insécurité, craintes d'attentats… Les 300 000 à 500 000 visiteurs attendus à Rio ne sont pas forcément rassurés. La situation fait passer les doutes qui ont précédé l'Euro de football en France (souvenez-vous, la CGT, la police épuisée, les inondations, la fin du monde) pour des broutilles. Le gouverneur par intérim de l'Etat de Rio de Janeiro, Francisco Dornelles, n'a pas caché que l'Etat qu'il dirige est économiquement exsangue. Le déficit pour l'année 2016 atteint la somme astronomique de 19 milliards de reais (presque de 5 milliards d'euros) et les services publics, qui ont connu des coupes budgétaires impressionnantes depuis quelque temps, sont au bord de la rupture. Francisco Dornelles a dû déclarer l'état de «calamité économique» le 17 juin pour obtenir une aide d'urgence de 2,9 milliards de reais (environ 750 millions d'euros) des caisses de l'Etat fédéral. La somme était requise pour assurer le bon fonctionnement de la ville, notamment les transports et la sécurité, pendant les Jeux. Sinon, avait prévenu le gouverneur, on risquait tout simplement un «effondrement imminent» de «la santé, de l'éducation, de la mobilité, de la sécurité publique et de la gestion environnementale». Un exemple de l'absurdité économique qui règne : sans argent frais, les policiers ne pourraient plus remplir le réservoir pour patrouiller dans leurs voitures. La construction des nouvelles infrastructures pour les JO n'est pas affectée pas les problèmes de trésorerie, car il s'agit de partenariats public-privé. Mais elle connaît ses propres problèmes : la nouvelle ligne de métro, qui permettra d'accéder à des lieux de compétition dans l'ouest de la ville, n'est pas encore terminée. «Il reste un peu plus d'un kilomètre», promet le gouverneur. S'ils avancent d'une quarantaine de kilomètres par jour, ça devrait être bon, de justesse. La baie de Guanabara, qui doit accueillir des épreuves aquatiques, est toujours sérieusement polluée. Le Comité d'organisation Rio-2016 a reconnu que l'objectif de nettoyer 80% de l'eau n'a pas été atteint et un des cinq sites devra être abandonné. CNN y a fait un tour récemment, et décrit : «Des longues traînées de poubelles qui traversent les zones où les équipes olympiques s'entraînent. Parmi les débris, des bouts de bois, des sandales en plastique, des chaussures et, bien sûr, des sacs en plastique.» «Rio sera la ville plus sûre du monde pendant les Jeux» Un peu d'optimisme de la part de Mario Andrada, membre du Comité d'organisation Rio-2016. Et il a les chiffres pour appuyer ses mots. Pendant la compétition, 65 000 policiers et 20 000 soldats seront déployés dans les rues de Rio pour assurer la protection du public. C'est le double des effectifs assignés aux derniers JO à Londres. Une partie sera envoyée dans les grandes favelas environnantes pour éviter un embrasement. La guerre de basse intensité entre la police et les gangs de narcotrafiquants s'est intensifiée depuis les opérations de «nettoyage» qui ont précédé la Coupe du monde en 2014. «Bienvenue en enfer» «Bienvenue en enfer. La police et les pompiers ne sont plus payés. Ceux qui viennent à Rio de Janeiro ne seront pas en sécurité», brandissent les syndicats de policiers et de pompiers brésiliens, à l'aéroport de Rio de Janeiro. http://imgur.com/gallery/TiuC6 En début de semaine, des syndicats de policiers et de pompiers étaient en grève pour dénoncer des conditions de travail inacceptables et des salaires payés en retard. Ils ont choisi de manifester dans le hall d'accueil de l'aéroport international de Rio, pour un maximum de retombées médiatiques internationales. La banderole qui accueillait ceux qui venaient de toucher le sol carioca disait : «Bienvenue en enfer. La police et les pompiers ne sont plus payés. Ceux qui viennent à Rio de Janeiro ne seront pas en sécurité.» L'action peut paraître extrême, mais la situation des policiers de Rio ne l'est pas moins. AP a recensé quelques détails qui dessinent le tableau de délabrement : «[Faute d'essence] les hélicoptères ne peuvent plus décoller, les voitures de patrouille sont garées. Les forces de sécurité de Rio connaissent de telles difficultés que certains ont commencé à implorer la population pour des dons : stylos, fournitures propres et même du papier toilette.» Dans Globo, le patron de la police civile, Fernando Veloso, a dit ne pas «écarter la possibilité d'un effondrement de l'institution». «Nous sommes à la limite de nos capacités opérationnelles. On ne pourra éviter d'autres coupes budgétaires, et cela aura un impact sur le produit final, qui est de servir la population.» L'enveloppe de 2,9 milliards de reais promise par le gouvernement devrait aider à passer l'étape des JO. Mais elle pourrait n'être, au final, qu'un gigantesque pansement. L'argent est alloué spécialement pour l'événement sportif, et ne servira pas à améliorer les conditions de travail de la police dans le long terme. A la rentrée, la plaie continuera à saigner. «Je viens de trouver un corps dépecé sur la plage de Copacabana. Faites tourner» Le fait divers fait parler de lui cette semaine au Brésil. Par son côté glauque, mais aussi parce qu'il représente à lui seul un concentré de tout ce qui pourrait mal se passer lors de ces JO. Mardi, un pied humain a été découvert sur la plage de Copacabana, à quelques mètres du lieu où se jouera la compétition de volley sur plage. Le membre mutilé a été découvert par un policier en patrouille qui, selon Globo, s'est empressé de le prendre en photo et de l'envoyer à ses contacts WhatsApp avec ce message : «Les choses sont de pire en pire à Rio. Je suis en service (…). Ils viennent de trouver un corps mutilé sur la plage de Copacabana, derrière l'arène de volley qu'ils sont en train de monter. Mon gars, maintenant ils vont vraiment tomber sur ce gouvernement. Ça ne pourrait pas arriver à un meilleur moment. Faites tourner.» L. V. In lemonde.fr