Trois semaines après avoir voté à 51,9% pour sortir de l'Union européenne, le Royaume-Uni a, aujourd'hui, une nouvelle Première ministre qui...souhaitait y rester. Theresa May, 59 ans, ministre de l'Intérieur depuis 2010, qui avait eu la prudence – ou l'habileté – de rester au-dessus de la mêlée pendant la campagne référendaire, mais avait choisi le camp du «Remain», a ramassé la mise, lundi 11 juillet, après le retrait d'Andrea Leadsom, son unique concurrente, pour l'élection à la direction du Parti conservateur. Trois semaines après avoir voté à 51,9% pour sortir de l'Union européenne, le Royaume-Uni a, aujourd'hui, une nouvelle Première ministre qui…souhaitait y rester. Theresa May, 59 ans, ministre de l'Intérieur depuis 2010, qui avait eu la prudence – ou l'habileté – de rester au-dessus de la mêlée pendant la campagne référendaire, mais avait choisi le camp du «Remain», a ramassé la mise, lundi 11 juillet, après le retrait d'Andrea Leadsom, son unique concurrente, pour l'élection à la direction du Parti conservateur. A peine Mme May avait-elle prononcé le discours destiné, lundi matin, à ouvrir une campagne qui devait durer tout l'été qu'elle était déclarée gagnante par forfait. Puisque le Parti conservateur dispose de la majorité au Parlement, son leader devient automatiquement Premier ministre. En milieu d'après-midi, David Cameron apparaissait brièvement devant Downing Street pour déclarer à quel point il était «ravi» qu'une femme aussi «forte et compétente» que Mme May lui succède si rapidement, étant donné les turbulences économiques. La grande histoire retiendra que M. Cameron a, contre son gré, fait sortir son pays de l'UE. La petite histoire gardera peut-être les quelques secondes surréalistes de la vidéo où le Premier ministre, pensant probablement le micro fermé, chantonne en se dirigeant vers le 10, Downing Street, sitôt après avoir officialisé son départ. Mercredi, à l'issue de la traditionnelle séance des questions au Premier ministre à Westminster, M. Cameron ira remettre sa démission à la Reine en lui recommandant de nommer Mme May. Dans la foulée, celle-ci se rendra à Buckingham, où Elizabeth II, chef de l'Etat, l'invitera à constituer son gouvernement. Aujourd'hui dans la soirée, le Royaume-Uni aura une nouvelle Première ministre. Theresa May, pour tenter de faire oublier son penchant pro-UE, a forcé le ton. «Brexit veut dire Brexit, a-t-elle martelé lundi. En tant que Première ministre, je veillerai à ce que nous quittions l'UE. Nous allons faire [de cette sortie] un succès. Il n'y aura aucune tentative de rester dans l'UE, aucune tentative d'y rentrer en douce, et pas de second référendum.» Etonnant dénouement Avant que les événements ne se précipitent, Mme May avait déclaré qu'elle n'était pas pressée d'actionner l'article 50 du Traité de Lisbonne qui enclenche le délai de deux ans pour la sortie définitive de l'Union. «Avant la fin de l'année», s'était-elle contentée de dire alors qu'Allemands et Français pressent Londres de commencer la procédure. Mais elle pensait alors n'entrer en fonctions qu'en octobre et les trois mois gagnés sur ce calendrier pourraient accélérer la marche vers le Brexit. Cet étonnant dénouement à la crise politique qui a suivi la démission de M. Cameron au lendemain du référendum résulte de l'explosion en vol de toutes les personnalités qui s'étaient proclamées championnes du Brexit, mais qui, une fois la victoire acquise, ont rivalisé d'impréparation, de vanité et d'irresponsabilité. Après le retrait de Boris Johnson et de Michael Gove, les deux têtes de la campagne du «Leave», après la démission de Nigel Farage de la direction du Ukip, parti d'extrême droite fer de lance du référendum pour le Brexit, Andrea Leadsom n'a pas résisté longtemps. La pauvreté de sa rhétorique – «Le Brexit est une immense chance pour notre grand pays» –, son CV dans la finance gonflé et surtout le lien qu'elle avait fait entre sa qualité de mère de famille (opposée à Theresa May qui n'a pas d'enfants) et son aptitude à diriger le pays ont refroidi le parti. Réputée pour son austérité, sa détermination et, désormais, pour son habileté politique, Theresa May est souvent comparée à Angela Merkel. Elles ont en commun d'être de la même génération, d'être filles de pasteur, peu portées sur les mondanités et sans enfants. Toutes deux sont libérales et conservatrices, mais plus pragmatiques qu'idéologues. Mme May est connue du public britannique depuis un discours de Congrès prononcé en 2002, en plein blairisme triomphant, où elle mettait en garde les tories contre l'image de «parti méchant» qui lui colle à la peau depuis Margaret Thatcher. Lundi, Theresa May s'est spectaculairement dissociée de la «dame de fer» des années 1980 en défendant l'intervention de l'Etat contre les inégalités sociales et les abus de la finance. «Nous ne croyons pas seulement dans les marchés, mais aussi dans les communautés locales, a-t-elle déclaré. Pas seulement dans l'individualisme, mais dans la société.» Theresa May, chrétienne pratiquante, se réfère à l'action paroissiale de son père pasteur pour définir son attachement au «service public». Elle a commencé sa carrière dans la banque après des études de géographie à Oxford, où elle a rencontré son mari, Philip, conservateur et financier lui aussi. Elue municipale, elle est devenue députée en 1997 et a occupé de nombreuses fonctions au sein du «cabinet fantôme» (opposition). Superbement réélue en 2010 dans sa circonscription de Maidenhead (ouest de Londres), elle a été nommée ministre de l'Intérieur par M. Cameron lors du retour des tories au pouvoir en 2010. Réputation de dureté En dépit d'une grande fermeté sur l'immigration, elle est loin d'avoir réalisé l'impossible promesse de son parti de faire baisser les flux (Européens compris) à moins de 100 000 personnes par an, ce que lui reprochent les «brexiters». Défenseure du mandat d'arrêt européen, elle a longtemps plaidé en faveur de la rupture avec la Convention européenne des droits de l'Homme – qui empêche certaines expulsions. Récemment, elle a mis de l'eau dans son vin à ce sujet pour ne pas s'aliéner les tories modérés. Mais les deux principales cordes à son arc – immigration et finance – et sa réputation de dureté font d'elle une redoutable négociatrice pour les 27 de l'UE. Lundi, elle a promis d'obtenir «le meilleur accord pour la Grande-Bretagne» et de «façonner son nouveau rôle dans le monde». Considérée comme ultracompétente, mais introvertie et peu charismatique, Mme May n'est connue que pour une extravagance : ses chaussures. Les escarpins à impression léopard qu'elle portait lors de son discours de 2002 sont dans toutes les mémoires, d'autant qu'ils ont été suivis par une impressionnante collection de souliers de toutes formes et couleurs, dont des cuissardes vernies noires portées lors de la visite du Président coréen en 2013. Mais cette exubérance est bien la seule entorse de Mme May à sa légendaire sobriété. Avare en apparitions médiatiques, celle qui recevra mercredi les clés du Royaume-Uni contredit les règles du succès selon le marketing politique. Discrète sur sa vie privée – on sait seulement qu'elle aime les randonnées en montagne, le cricket et la cuisine et qu'elle a un diabète de type 1 –, allergique aux mondanités, elle considère Twitter comme une perte de temps. Elle parle toujours de ce qu'elle fait, jamais de qui elle est. Tout le contraire de la brochette d'ego surdimensionnés – MM. Johnson, Gove, Mme Leadsom – qui sont partis dans le décor. Pourtant, le curieux scénario de l'irrésistible ascension de Mme May la place en position de faiblesse. Nommée à la tête du pays sans élection ni même compétition au sein des tories, la voilà pour ainsi dire couronnée Première ministre d'un pays divisé et déstabilisé par le Brexit. F. B. In lemonde.fr