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«Un redressement modéré des cours est possible notamment si la réunion informelle d'Alger réussit» L'expert international Mustapha Mékidèche à la Tribune :
Economiste et expert international, Mustapha Mékidèche, revient dans cet entretien sur la réunion informelle de l'Opep qui aura lieu en septembre prochain à Alger. Il aborde entre autres les enjeux de cette énième rencontre et son poids dans la stabilisation du marché. D'autres questions liées au marché pétrolier tel le conflit de leadership entre l'Arabie saoudite et l'Iran et les perspectives du marché pétrolier à moyen terme sont également évoquées. Il revient, par ailleurs, sur la situation du secteur des hydrocarbures en Algérie et sa résilience au choc pétrolier dans le sillage des mesures de redressement des comptes de l'Etat. La Tribune : Le président Qatari de l'Opep, Mohammed Bien Saleh Al-Sada annonce la tenue d'une réunion informelle de l'Opep en septembre prochain à Alger, sans pour autant donner l'ordre du jour de cette rencontre. Le ministre russe de l'Energie, Alexandre Novak pense qu'il n'y a aujourd'hui aucune condition préalable pour discuter d'un gel du volume de production de pétrole, étant donné que les prix se situent entre 40 et 50 dollars le baril. Selon vous est-il vraiment impératif de tenir cette réunion ? Dr Mustapha Mékidèche : Bien sûr que cette réunion informelle de l'Opep qui se tiendra en septembre à Alger en marge de Forum international de l'énergie, est utile. Rappelez-vous les positions intransigeantes de la première année de la crise, qui a débuté en juin 2014, de la part de l'Arabie saoudite et des pays du Golfe de façon plus générale. Ces derniers estimaient pouvoir gérer l'amplitude et la durée de la crise en maintenant le niveau de production Opep. Ils ont joué avec le feu. Ils ont combattu notamment les initiatives algériennes pour une réduction de l'offre Opep. Que ce soit le Président qatari de l'Opep qui l'annonce, témoigne de la recherche d'une stratégie alternative. Vous avez sans doute noté que le prix du baril s'est raffermi à cette annonce. Quant à la déclaration que vous évoquez du ministre russe de l'Energie, Alexandre Novak, qui parle de gel «sans condition préalable» et non de réduction de production, il est déjà dans une posture de reprise du dialogue Pays Opep et non Opep. L'Algérie devra donc être vigilante et préparer sérieusement cette rencontre informelle car un échec serait préjudiciable sur les perspectives de redressement significatif à moyen terme. Les dernières réunions extraordinaires de l'Opep n'ont eu aucun effet positif sur le marché pétrolier ? Des experts pensent que cette organisation vieille de 56 ans est devenue inefficace et ne pourra plus contrôler le marché. Quelle est votre lecture là-dessus ? Je ne crois pas que l'Opep ne sert plus à rien ou ait épuisé son rôle. Les difficultés de construire un consensus sont récurrentes. Rappelez-vous la crise de 1986 engendré par le conflit de leadership entre l'Arabie saoudite et l'Iran. Il est toujours là. Mais je pense que l'intérêt objectif des pays membres de l'Opep d'assurer un prix raisonnable au baril sera supérieur aux ambitions géopolitiques des uns et des autres. De plus le retour de l'Iran et à degré moindre de l'Irak va peser sur le rapport de forces au sein de l'Opep au détriment des pays du Golfe. Par ailleurs paradoxalement les Etats-Unis ont besoin d'un prix du baril plus élevé pour continuer l'exploitation de leur potentiel d'hydrocarbures de schiste. Ce qui revient à dire que l'Opep est toujours nécessaire pour tirer l'offre pétrolière mondiale qui est entrée dans un processus de désinvestissement dangereux pour le moyen terme. Une certaine dynamique de la demande commence à s'afficher. Selon vous, cette dynamique pourrait-elle permettre aux prix du pétrole de trouver leur plancher d'avant juin 2014. Quelles sont les perspectives du marché à moyen terme ? Retrouver le niveau de prix d'avant juin 2014 me semble exclu à court terme et même à moyen. Cela car l'excès de l'offre de pétrole est toujours là entretenue par l'Arabie saoudite mais aussi par l'augmentation des productions de l'Iran et de l'Irak. En revanche une remontée des prix autour de 70 à 80 dollars est envisageable à moyen terme 2019 ou 2020. Il s'agit d'ailleurs de prévisions de l'Agence internationale de l'énergie (AIE) que je partage. Entre temps un redressement modéré des cours est possible notamment si la réunion informelle d'Alger réussit et si la demande mondiale repart à la hausse. Mais avancer l'idée d'une remontée des prix autour de 80 dollars pour la fin 2016, comme l'ont déclaré certains, est irréaliste et dans le cas de l'Algérie démobilisateur. Le FMI dans son rapport publié en mai dernier a souligné la résilience de l'Algérie au choc pétrolier. Pour cette institution internationale, cette résilience est le résultat des politiques menées auparavant… La résilience de l'économie algérienne que vous citez et dont fait référence le FMI dans son rapport de mai 2016 est connue et analysée par la communauté des économistes. C'est ce qui fait la différence entre la situation actuelle de l'Algérie et celle du Venezuela ou même de l'Angola. Mais j'ai deux observations sur ce sujet. La première est que la résilience est comme une batterie elle se consomme si elle n'est pas rechargée. Nous avons entamé la moitié déjà en deux ans de crise. Ce qui a fait que l'économie algérienne ne s'est pas effondrée. La suite dépendra de notre capacité à entreprendre les réformes et allumer d'autres moteurs de la croissance. C'est notamment de cela que je traite dans mon ouvrage à paraître à la rentrée aux Editions Dahlab sous le titre «Résilience et désordre de l'économie algérienne (2007-2016)». Pour limiter les répercussions de l'effondrement des cours, le gouvernement algérien a mis en œuvre plusieurs mesures dont la diversification des ressources financières du pays. Vous, dans une déclaration à la Radio nationale, avez indiqué que les mesures entreprises pour juguler la chute des cours restent «insuffisantes». Quelles sont ainsi vos propositions pour sauver l'économie nationale ? Il faut d'abord noter que l'ampleur du choc et sa durée depuis déjà plus de deux ans ont fortement ébranlé les équilibres financiers intérieurs essentiellement budgétaires puis extérieurs avec les tensions sur notre balance des paiements. Mon intervention sur la Radio nationale que vous citez avait comme objectif de faire une alerte précoce sur les conséquences lourdes et durables sur notre économie car il m'apparaissait que les effets de cette crise ont été pendant un an largement sous estimées. Je vous rappelle que la première menace est l'ampleur du déficit qui ne pourra pas être financé en 2017 par le Fonds de régulation des recettes (FRR). Il va falloir agir dans deux directions : la rationalisation budgétaire et le financement du déficit. Les arbitrages de la première devront clairement être affichés pour construire les consensus sociaux et élargir le second à tous les segments sociaux y compris aux segments concernés par les activités et les revenus informels. Quant aux politiques de transferts sociaux et soutien des prix, force est de constater que c'est un dossier qu'il faudra traiter car les gaspillages et les fuites persistent y compris pour les produits énergétiques. On verra ce que le projet de loi de finances pour 2017 inclura comme mesures fortes et non plus simplement symboliques. A ce propos, il faut faire preuve de plasticité et de flexibilité en évaluant par exemple si les mesures de diminution de la pression fiscale sur les entreprises en matière de taxe sur l'activité professionnelle (TAP) qui ont pénalisé les collectivités locales ont produit in situ des externalités positives en termes d'emploi. C'est ainsi que l'on consolide le front intérieur car chacun doit mettre la main à la pâte. Il ne faudra pas hésiter à ajuster si les effets attendus ne sont pas là. Pour le reste, les deux initiatives de recours au marché financier et obligataire devront également être évaluées et les conséquences tirées. Enfin, je termine par le recours aux crédits extérieurs qui sont incontournables compte tenu de la rapide déplétion de nos réserves de change qui par ailleurs ne justifie pas notre rétrogradation en C par la Coface française. Le dernier Conseil des ministres a été couronné, entre autres, par l'adoption du nouveau modèle de croissance économique. Ce modèle repose sur une nouvelle politique budgétaire devant permettre une réduction sensible du déficit du trésor à l'horizon 2019. L'Etat pourrait t-il réussir ce défi ? Vous avez raison de mettre l'accent sur la nouvelle démarche budgétaire comme axe prioritaire du nouveau modèle de croissance. En effet, avant de pouvoir bénéficier des effets de la diversification économique dans les secteurs industriels agricoles et celui des services, en termes de génération de recettes fiscales, il va falloir rationaliser une démarche budgétaire expansive qui ne peut plus être financée. Deux observations à ce sujet. La première est la pertinence, la transparence et l'efficacité des arbitrages budgétaires à produire. Je crains à ce sujet que le budget d'équipement soit le plus touché avec comme conséquences l'entrée en crise du Btph et l'arrêt de projets territoriaux structurants. A ce propos je serai favorable au recours à des financements alternatifs comme par exemple les financements étrangers concessionnels. La seconde est la nécessité de revoir la réforme administrative pour en rationaliser le fonctionnement. C'est effectivement le premier défi de la gouvernance publique qu'il va falloir relever. Avant de terminer, je voudrai revenir sur le retour de la croissance dans le secteur des hydrocarbures, et ce, après quatre années consécutives de baisse. Selon vous, cette croissance pourrait-elle faire long feu, alors qu'on assiste aujourd'hui à un désinvestissement pétrolier dans la majorité des pays producteurs de pétrole ? Effectivement, il peut paraître paradoxal de continuer d'investir pour augmenter la production alors que les prix sont divisés par deux. En vérité, la crise des quantités d'hydrocarbures a précédé de quelques années, comme vous le rappelez, la crise des prix. Je vois deux raisons qui incitent la Sonatrach à intensifier ses efforts d'investissements. La première est de maintenir ses parts de marché avec une croissance élevée de la demande interne que ce soit pour les liquides ou le gaz en stoppant le déclin de ses productions. La seconde est d'être prête à exporter plus lorsque les prix se redresseront. B. A.