Bruxelles se convertit à la relance, mais ne sait pas comment la réaliser. La Commission européenne recommande que la zone euro adopte une position budgétaire accommodante de 0,5% du PIB l'an prochain. Une ambition limitée dont Bruxelles n'a guère les moyens. Bruxelles se convertit à la relance, mais ne sait pas comment la réaliser. La Commission européenne recommande que la zone euro adopte une position budgétaire accommodante de 0,5% du PIB l'an prochain. Une ambition limitée dont Bruxelles n'a guère les moyens. Il lui aura fallu le temps. Près de deux ans et demi après l'appel de la BCE, la Commission européenne prend enfin conscience de la nécessité d'une politique budgétaire adaptée à la situation économique. Lors d'un discours tenu lors de la réunion annuelle des banquiers centraux à Jackson Hole le 22 août 2014, Mario Draghi appelait à une action complémentaire entre politique monétaire et politique budgétaire. En vain. Depuis, la BCE s'est engagée, sans soutien budgétaire, dans une politique monétaire ultra-expansionniste qui n'a guère été capable de relancer l'investissement et la croissance, même si elle a empêché toute chute dans une spirale déflationniste. 50 milliards d'euros : une ambition limitée Ce mercredi 16 novembre 2016, la Commission européenne, dans ses recommandations de politique économique, propose ainsi de mener, au niveau de la zone euro, un soutien budgétaire de 0,5% du PIB de la zone euro, soit environ 50 milliards d'euros. Ce soutien permettrait, selon Bruxelles, de «réduire une partie de l'absence d'utilisation des capacités de production dans la zone euro tout en soutenant la politique monétaire et en évitant toute surchauffe de l'économie». Le montant proposé est, selon la Commission, «pragmatique et prudent». Ce chiffre de 50 milliards d'euros manque cependant d'ambition. Selon les chiffres de la Commission, il faudrait 80 milliards d'euros pour combler «l'écart de production» («output gap»), la différence entre la croissance réelle et la croissance potentielle. Il en faudrait encore davantage pour combler le déficit d'investissement de près de 300 milliards d'euros cumulé depuis le début de la crise. Mais l'exécutif européen s'inquiète, si l'on ajoute 30 milliards d'euros, d'une «surchauffe» de l'économie de la zone euro. A 1,6% de croissance et 0,5% d'inflation annuelle, on peut douter de la réalité d'une telle crainte. Mais Bruxelles reste convaincu que, pour être crédible vis-à-vis du Conseil, il est de meilleur ton d'accepter le maintien de «l'output gap»... En tout cas, il convient d'agir, car, si l'on suit le chemin mené par les propositions des Etats membres sur leurs budgets, l'effet de la politique monétaire en 2017 redeviendra «neutre» sur la croissance après avoir été «légèrement positive» en 2016. La Commission n'y est, du reste, pas pour rien. Elle a exigé un sévère effort du Portugal et de l'Espagne pour finalement ne pas «couper» les aides structurelles à ces pays. Madrid doit réaliser, à lui seul, un effort de 5 milliards d'euros. Bruxelles ne semble pas en accord avec le budget italien. Autrement dit, la Commission a largement apporté sa pierre au retour d'une politique plus restrictive. A cela s'ajoute le fait que les pays qui ont réalisé leur consolidation budgétaire refusent toute politique de relance. Où trouver l'argent ? A votre bon cœur... Comment alors trouver ces 50 milliards d'euros pour 2017 ? Pas question de remettre en cause le pacte de croissance et de stabilité. Il reste donc bien peu de moyens concrets. Bruxelles reprend alors le mantra martelé par la BCE depuis des mois : les Etats qui disposent d'une marge de manœuvre budgétaire doivent l'utiliser, et il faut faire un «meilleur» usage du plan Juncker. Dans les deux cas, il s'agit de vœux pieux. Les Etats qui refusent de dépenser ne peuvent y être contraints. Quant au plan Juncker, il est largement dépendant d'une Banque européenne d'investissement (BEI) qui refuse de prendre des risques que ne prendrait pas un investisseur privé. Autrement dit, le plan Juncker se substitue largement aux investisseurs privés et son action n'a guère d'impact macroéconomique. En parcourant les pages de la recommandation de la Commission, on sent l'exécutif européen entièrement démuni, faute de moyens réels d'agir. Les mesures adoptées pendant la crise en 2011-2013 ont en effet donné une orientation très restrictive à la politique budgétaire européenne, avec des outils de sanctions et de procédures nouvelles pour les déficits excessifs. Mais rien n'a été évidemment prévu pour établir une politique coordonnée de relance. Logique, car, l'obsession était alors la consolidation budgétaire. Sanctionner les excédents comme les déficits Pourtant, la Commission dispose d'une arme. Elle pourrait lancer une procédure corrective pour les excédents excessifs de l'Allemagne et des Pays-Bas. Les comptes courants de ces pays ne cessent d'afficher des excédents courants supérieurs à la limite de 6% du PIB fixée par les directives de 2010-2013. L'excédent allemand atteint 7,5% du PIB en 2015 (et même 9,4% du PIB en termes structurels) et il devrait rester encore largement au-dessus de la limite en 2016 et 2017. Il y a donc persistance du déséquilibre, mais la Commission se contente pour le moment «d'enquêter». Or, en demandant une correction à Berlin, qui pourrait se faire par un creusement du déficit budgétaire, la Commission pourrait mettre en pratique sa recommandation budgétaire. Seulement, elle ne le souhaite pas. L'explication est simple. D'abord, dans l'esprit des dirigeants allemands et d'une grande partie de ceux de la zone euro, le problème demeure celui du déficit et non celui de l'excédent. L'idée que les excédents des uns sont nécessairement les déficits des autres n'a pas pris : le déficit n'est pas un phénomène économique, mais une «faute morale». Dans ce cas, l'excédent n'est pas un problème, mais le fruit de la vertu. Autrement dit, l'Allemagne, qui dispose de solides alliés dans le Conseil européen, n'acceptera jamais d'appliquer la procédure de déséquilibre excessif pour les excédents. La Commission préfère alors se contenter de taper gentiment sur les doigts de l'Allemagne et, de facto, renoncer à ses propres recommandations. Jouer sur la BEI Un autre levier existerait, dans le cadre actuel des traités. Détourner largement les rachats d'actifs actuels de la BCE sur les marchés vers une BEI qui serait le «moteur» d'une politique investissement active. La BCE rachèterait-elle le fait déjà aujourd'hui à faible dose - la dette de la BEI destinée à financer des investissements ciblés correspondant à des besoins précis : développement des pays du sud, politique industrielle de montée en gamme, infrastructures ou encore transition énergétique. 50 milliards d'euros serait alors un montant très modeste si l'on songe que la BCE rachète chaque mois 80 milliards d'euros de titres. Mais, là encore, les institutions européennes s'y refusent, notamment la BEI dont on a vu la gestion peu convaincante du plan Juncker et l'obsession pour une notation qui, dans le cadre d'un circuit avec la BCE, est inopérante. La Commission ne semble pas déterminée à jouer sur cette corde. Le blocage allemand En réalité, si ce désir d'action budgétaire de la Commission est le bienvenu, il ne saurait voir le jour. Quand bien même, elle passerait l'imprimatur théorique de l'Eurogroupe et du Conseil européen, ce qui reste à accomplir, elle ne serait pas suivie d'effet puisque le seul vrai levier dont on dispose en zone euro demeure les budgets nationaux. Or, l'Allemagne par la voix de son ministre des Finances Wolfgang Schäuble reste attachée à son «Schwarze Null», cet équilibre budgétaire que le ministre a eu tant de mal à atteindre et auquel il tient plus que tout. Le plan budgétaire allemand d'ici à 2020 prévoit le maintien de l'équilibre du budget fédéral, quoi qu'il arrive. Toutes les dépenses supplémentaires sont soumises à cette exigence. Comme la Constitution fédérale oblige à partir de 2020 les Länder à l'équilibre budgétaire et réduit le déficit structurel de l'Etat fédéral à 0,35% du PIB, l'utilisation de la «marge de manœuvre budgétaire» allemande pour le reste de la zone euro est une impossibilité. Du reste, dans la logique «morale» décrite plus haut, le «partage» avec la zone euro d'une relance est impensable outre-Rhin. Du reste, ce mercredi, les médias allemands ne relayaient guère la proposition de la Commission préférant se concentrer sur le risque de dérapage budgétaire de six Etats... Loin de la coupe aux lèvres Dans cette situation, l'expansion budgétaire prévue étant peu probable et la Commission refusant ou ne pouvant agir, il risque de ne rester que le bras répressif de la politique européenne : celle qui a fait plier l'Espagne et le Portugal et qui menace de le faire pour l'Italie et la Belgique, celle qui favorise des «réformes structurelles» qui pèsent en fait sur la productivité et les prix. Il n'existe en zone euro aucune capacité d'action budgétaire commune et pas davantage de volonté d'aller dans ce sens. Les «recommandations» de ce jour vont donc échouer sur cet écueil central. Autrement dit, le «policy mix» européen, cette politique économique complémentaire voulue en 2014 par Mario Draghi n'est pas encore près de voir le jour. Certes, la Commission a enfin pris conscience des effets des structures actuelles avec le «choc» du Brexit et de l'élection de Donald Trump. Mais il y a encore loin de la coupe aux lèvres et des recommandations à l'action... R. G.