Photo : S. Zoheir De notre envoyé spécial à Ghardaïa Samir Azzoug «On n'arrive toujours pas à comprendre ce qui se passe.» Tel un leitmotiv, cette phrase revient souvent à la bouche des habitants de Berriane. Agrippée à la route nationale n°1, enserrant le bitume à la manière d'un étau dont chacune des deux mâchoires veut absorber les fortunes, la daïra de Berriane est devenue tristement célèbre par ses affrontements à répétition. Les derniers datent d'il y a seulement trois semaines. Les émeutes qui ont éclaté entre deux communautés, le 30 janvier dernier, ont fait deux morts et plusieurs blessés. Mozabites contre Arabes ou ibadites contre malékites ; les appellations diffèrent pour qualifier la confrontation des deux antagonistes – mâchoires d'étau- qui peuplent la ville et cohabitaient sereinement depuis des siècles. Les différences dans les rites, la langue et les habitudes étaient acceptées, respectées et se confondaient dans une harmonie qui rythmait la vie. «La ville était réputée pour être un havre de paix. Alors que Ghardaïa et Laghouat souffraient des affres du terrorisme, Berriane en était épargnée» témoigne Ali, un quadragénaire dont la maison a été saccagée et incendiée. «Je suis Mozabite et j'habite au milieu des Arabes. On vivait en bons voisins. Jamais, je n'aurais pu penser que les choses auraient pu dégénérer de la sorte». De l'autre côté, le choc et l'incompréhension sont partagés. «Le respect du voisin est sacré chez-nous. Le voisin est un frère. Il est impensable qu'on puisse arriver à un tel degré d'agressivité et de rancoeur les uns envers les autres», s'en offusque une autre victime, arabe cette fois, des affrontements au niveau du quartier Baba-Saad. Chez les jeunes, la rancœur obscurcit les idées. La mémoire de l'homme étant sélective, ce sont les récentes images de violence qui l'emportent sur un passé harmonieux. On en veut à l'autre, l'agresseur, l'assaillant et l'offenseur. On ne cherche pas à comprendre la cause, on se prépare seulement à la riposte. Et la rumeur va bon train. Principales causes : les mêmes faits, les mêmes événements et prétextes déclencheurs d'émeutes sont reprochés à l'antagoniste. Pourquoi donc le clivage ? Les versions diffèrent et les explications s'enchevêtrent. On accuse le racisme, le communautarisme, des stratégies pour la prise de pouvoir d'un côté comme de l'autre. On parle d'intérêts économiques et politiques. Les plus vieux, de leur côté, visent des partis politiques et des associations qui cultivent la haine et poussent les jeunes au «clash», d'autres incriminent les salafistes et autres extrémistes. La conjoncture est loin d'être simple. Mais une lueur d'espoir persiste. Les consciences se réveillent. Les sages, avec l'aide des autorités, ont saisi la gravité de la situation. Un véritable travail de compréhension, de médiation et de négociation est entrepris. Au sujet de cet effort de réconciliation, aucune partie ne veut en dévoiler les lignes. On saura simplement que des enquêtes son en cours et des pourparlers engagés. Les protagonistes sont les autorités par l'intermédiaire du wali de Ghardaïa qui bénéficie du soutien des deux communautés et de nouvelles structures nées après les premières émeutes de mars 2008, constituées de notables et membres influents des communautés et des jeunes. Des porte-parole des organisations précédemment citées, rencontrés séparément et ayant requis l'anonymat, indiquent que la dernière visite du ministre délégué chargé des Collectivités locales, Daho Ould Kablia, était importante. «Les pouvoirs publics ont compris qu'il ne s'agit pas d'un simple chahut de gamins. Les choses sont beaucoup plus compliquées. Grâce à la concertation, de nouvelles approches et des actions concrètes sont à venir. On ne peut pas les dévoiler maintenant, car les perturbateurs sont à l'affut. Il faut les prendre au dépourvu», explique l'un d'eux. Pour l'heure, un silence pesant règne sur la ville. La tension persiste même si les rues sont calmes. Des unités de police et de gendarmerie sont postées à des endroits sensibles de la ville. Les traces des violences passées, toujours visibles, alourdissent l'ambiance. Un travail de fond doit être effectué et des solutions rapides et réfléchies doivent être prises pour mettre un terme définitif au malaise. A commencer par régler la situation des jeunes gens en état d'arrestation.