Comme ses prédécesseurs, le président Emanuel Macron est interpellé au sujet de la «disparition» du mathématicien et moudjahid algérien Maurice Audin. Un collectif d'intellectuels, d'historiens, de journalistes, d'anciens appelés du contingent et de militants associatifs en France, ont affirmé récemment que la vérité historique sur sa mort doit enfin être connue. Ces éveilleurs de consciences endormies, dont les historiens Gilles Manceron, Benjamin Stora, Alain Ruscio et Raphaëlle Branche, rappellent au nouveau chef de l'Etat français que le 5 mai dernier, devant la rédaction de Mediapart, il avait déclaré : «De fait, je prendrai des actes forts sur cette période de notre histoire». A l'approche du triste anniversaire de son assassinat, ils lui suggèrent aussi de recevoir sa veuve Josette et de s'exprimer à ce sujet pour «concrétiser cet engagement». Le successeur de François Hollande qui avait lui-même promis en vain de faire la lumière sur ce crime d'Etat, a donc un sérieux problème sur les bras et pour sa conscience. Emanuel Macron a donc une équation à régler. Equation à une seule inconnue : dire tout simplement la vérité sur son assassinat par les parachutistes français le 21 juin 1957 à Alger. Il ferait alors preuve de courage intellectuel et d'audace politique, lui qui a déjà qualifié les crimes de la colonisation française de crimes contre l'humanité. Mais, soixante après la «disparition» de ce combattant de la liberté, la France officielle observe encore un silence assourdissant. Elle n'admet toujours pas les choses telles qu'elles se sont déroulées à la villa des Tourelles à El Biar où, on le sait désormais, l'assassin du militant communiste algérien avait un nom, un prénom et un grade dans l'armée française. On ne l'ignore plus grâce à un manuscrit du colonel Godard, ancien commandant de la zone Alger-Sahel, exhumé par Nathalie Funès du Nouvel Observateur, dans les archives d'une université américaine. Mais aussi, à la faveur des déclarations du sinistre général Paul Aussaresses à une autre consœur française, Florence Baugé. Ce criminel de guerre faisait partie de «l'état-major de la main gauche» en charge des basses besognes, en fait un escadron de la mort en bonne et due forme. On sait donc que le tueur de Maurice Audin, après d'atroces tortures, s'appelle Gérard Garcet, aide de camp du général Massu et ancien résistant antinazi, désigné nommément par le colonel Godard comme le lieutenant qui l'a exécuté. Et pourtant la hiérarchie de l'armée française, Massu et Bigeard en tête, ont tous juré, sous serment devant le juge, que le moudjahid Audin s'était enfui. Et qu'il aurait disparu depuis. On a dit d'ailleurs la même chose à propos des «disparitions» de Larbi Ben Mhidi et Cheikh Larbi Tebessi. Normalement, Emanuel Macron devrait admettre, peut-être plus facilement, la vérité historique. Dans sa réponse à Josette Audin, veuve de notre chahid, qui lui a adressé en 2012 une lettre exigeant que «la vérité soit connue et reconnue», son prédécesseur avait écrit, noir sur blanc : «Plus de cinquante après la fin de la Guerre d'Algérie, l'Etat français doit faire face à ses responsabilités et au devoir de vérité qui lui incombe envers vous et votre famille d'abord mais également envers l'ensemble des citoyens.» Le 18 juin 2014, il avait indiqué également que les documents et les témoignages dont il disposait sont suffisamment nombreux et concordants pour infirmer la thèse officielle de l'évasion. Mais il s'est défait de sa promesse solennelle et s'est du coup déconsidéré en faisant une promesse de Gascon. Déjà, durant la campagne des présidentielles de 2012, il avait fait une promesse lourde de sens à Georges Tronel de l'Association Maurice Audin. Il avait évoqué alors l'enquête du Nouvel Obs «révélant pour la première fois l'identité probable de l'assassin de Maurice Audin.» Plus frappant encore, il avait précisé qu'il croyait «utile que la France présente des excuses au peuple algérien.» Et lorsqu'il avait promis à la veuve d'Audin qu'il lui remettrait tous les documents liés à son assassinat, il n'avait cependant pas précisé si cela impliquait une levée du secret-défense sur toutes les pièces. Dans ce dossier, rien ne dit en effet que des traces écrites d'un ordre d'exécution soient disponibles. En revanche, des témoins existent bel et bien. Ils sont encore vivants et la justice française devrait les entendre. Entre autres, le général Maurice Schmitt, ancien chef d'état-major des armées françaises, dont le rôle de superviseur des tortures durant la Bataille d'Alger (1957), comme lieutenant, a été mis en évidence le 22 septembre à Marseille, lors de sa poursuite en diffamation contre un ancien soldat en Algérie devenu militant anticolonialiste. Ce fut la première fois qu'un tribunal français se penche, 58 ans après les faits, sur l'affaire Audin. Il y a d'autre part l'assassin Gérard Garcet, ex-officier d'ordonnance du général Massu qui, à quatre-vingts ans passés, coule une paisible retraite en Bretagne. Il y avait surtout Paul Aussaresses que la justice française n'avait pas daigné interroger avant sa mort en 2013. N. K.