Nichée dans un coin paradisiaque de Normandie, Deauville, célèbre station balnéaire, a accueilli deux jours durant 18 chefs d'Etat et près de 2 500 délégués et ce, en présence d'un millier de journalistes qui ont eu bien du mal à exercer leur métier dans une ville aux allures de camp retranché à la limite du parano-sécuritaire, puisque près de 15 000 policiers et gendarmes ont été déployés pour faire de Deauville un espace fermé. Et ce, au moment où le G8, dans une de ses déclarations lors du communiqué final, s'est engagé auprès des médias de la planète - une première assure-t-on- à lever le voile sur tous les sujets sensibles, à l'exemple de la catastrophe nucléaire qui a touché le Japon, à rassurer l'opinion internationale et les citoyens des conséquences néfastes sur la sécurité alimentaire. Quoi qu'il en soit et à l'image des sommets précédents du G8 dont les pays membres représentent près de 80% de la richesse mondiale, Deauville n'a pas échappé à la règle des «bruits de couloir», des manœuvres de coulisse et des polémiques feutrées entre pays membres, dont la France - pays hôte- qui n'a pas ménagé «son volontarisme politique» sous la coupe de Sarkozy qui a multiplié ses contacts, à l'image de son tête-à-tête avec le président américain pour imprimer à «son» sommet de Deauville, en intronisant les pays africains, Côte d'Ivoire, Niger et les nouveaux dirigeants tunisiens et égyptiens, une nouvelle visibilité du G8. Avouant sans ambages faire du G8-Deauville 2011 «un moment fondateur» pour les révolutions du printemps arabe et de l'Afrique pour les nouvelles transitions démocratiques - Niger, Côte d'Ivoire, Guinée-, en établissant un partenariat à long terme, sans pour cela donner l'illusion pour les différents pays en très grande difficulté économique d'espérer du G8 se transformer en institution de «pays donateurs». Reste que le G8 a répondu plus que favorablement en débloquant près de 40 milliards de dollars pour les deux pays en chargeant la BERD - créée pour l'Europe de l'Est- de mettre en place expressément les instruments financiers pour soulager au plus vite les économies chancelantes de la Tunisie et de l'Egypte, symboles du printemps arabe. La BERD, sommée par les membres du G8 de s'engager davantage vers la rive sud de la Méditerranée. Et ce, à l'opposé de la timidité financière prudentielle bien affichée par les membres du G8 qui, lors de ses travaux, s'est vu rappeler avec force tonalité par les pays membres du Nepad et, à leur tête, Abdelaziz Bouteflika, qu'aux 25 milliards de dollars promis à l'Afrique lors du sommet de Gleneagles au Royaume-Uni en 2005, seuls 11 milliards de dollars ont été débloqués. A cet égard, et dans la même confluence au cours des discussions et prises de parole des chefs d'Etat africains membres du Nepad lors du segment G8/Afrique, la délégation algérienne n'a pas manqué dans ses différentes contributions de recentrer les débats sur des sujets sensibles politiques ou économiques qui prédominent la scène africaine. Une manière subtile de rappeler que le Niger, la Guinée et surtout la Côte d'Ivoire n'étaient pas, sous l'œil bienveillant de la France, les seuls cas d'école de transition démocratique, mais qu'au contraire des pays émergents, comme l'Algérie, l'Afrique du Sud et le Nigeria sont des exemples probants de croissance économique, de modèle concernant l'intégration régionale, à l'exemple des efforts déployés sous l'égide du président algérien concernant les relations subsahariennes avec ce projet autoroutier gigantesque en cours de construction entre Alger et Lagos. Au focus du printemps arabe et des bons élèves africains, les dirigeants du Nepad on rappelé l'urgence du partenariat économique à mettre en place par le G8 dans certaines régions d'Afrique où les crises régionales, comme au Soudan et en Somalie – pourtant en phase de transition démocratique avec la mise en place du dialogue national – risquent en cas de lenteur de provoquer un génocide alimentaire. Plus ardue a été abordée dans les salons confortables du G8 à Deauville par les membres du Nepad la lutte contre le terroriste et ses connexions, à savoir la drogue, le trafic humain et la circulation d'armes. Fléaux plus que d'actualité, à l'exemple de la Libye où la situation du conflit interne latente repose avec acuité la problématique du droit d'ingérence et la souveraineté. Des principes intangibles de la diplomatie algérienne qui a trouvé bien des relais dans les arcanes du G8. Du géant sud-africain en passant par les responsables nigérians au plus haut jusqu'à la Russie, pays clé du G8, membre du Conseil de sécurité dont le droit de veto a été exercé avec conviction lors de l'intervention de l'Otan en Libye ou des sanctions internationales contre la Syrie. Une Russie très courtisée par Sarkozy qui, pour son dîmat interne, a réussi un coup spectaculaire en signant un important contrat de vente de frégates militaires avec Moscou. Reste qu'au-delà du menu proposé à ce sommet de Deauville et les gesticulations politico-médiatiques à la veille des présidentielles françaises de Nicolas Sarkozy, nombre de césures sont apparues au niveau du clan très fermé du G8. A l'unanimité de façade sur la question libyenne, de la transition démocratique au Moyen-Orient ou de l'impact de la crise japonaise jusqu'à la régulation d'Internet et l'innovation, c'est pourtant un tout autre sujet que «l'Internet responsable» qui a obsédé les experts de la relation transatlantique. A savoir l'affaire DSK et la délicate question de sa succession à la tête du FMI. Au lobbying français soutenu «la veille par l'Europe» pour imposer la ministre du Commerce, Christine Lagarde, Obama a répété, via son entourage dans les travées du G8, «préférer voir un processus ouvert qui conduise à une succession rapide pour le nouveau directeur général du FMI». Car pour Washington «l'attitude des Etats-Unis est de ne pas avoir de doctrine régionale sur le sujet et donc qu'il n'y a pas de candidat idéal a priori». Ce qu'a parfaitement démontré Obama en faisant le pont entre Londres, Deauville et Varsovie, une manière à même de témoigner de la vitalité du «lien transatlantique» et montrer qu'il n'y a pas de «vieux ou de nouveaux alliés» mais une pluralité d'alliés traités avec la même ardeur. Car derrière cette rhétorique de l'égalité de traitement, il y a une réelle volonté de tendre la main à l'Union européenne en dépit des divergences potentielles sur le rôle du dollar ou sur l'inflation, véritable hydre pressante pour nombre de pays riches sous la menace de dévorer de futurs Etats en faillite. Ainsi, l'image qui nous est offerte à l'issue de ce G8 à Deauville suscite pourtant une certaine gêne ou en tout cas une interrogation. Elle invite à conclure qu'il existe une enceinte où se traitent les grands sujets politiques, le G8, et une autre dévolue aux enjeux économiques, le G20. L'institution suggère pourtant l'inverse : ce sont les vieux pays industrialisés, le club des «immergents» si on veut les appeler ainsi, qui sont aux prises avec la crise, le chômage, les dettes privées ou publiques faramineuses, tandis que les émergents galopent. Le Brésil, l'Inde, la Chine ont eux aussi beaucoup à dire sur les questions politiques, surtout quand on sait le rôle croissant que ces deux dernières jouent en Afrique. Ajouté à cela la chute «scabreuse» de DSK dont le profond malaise qu'il a provoqué au sein des pays émergents ou des dragons asiatiques sera difficile à cicatriser. Le tout résumé par les milliers de manifestants altermondialistes lors du défilé du Havre qui n'ont cessé de scander : «G8 dégage, les peuples d'abord, pas la finance.» B.-C. H. In La Tribune du 27.28.05.2011