Quel avantage tire le Maroc à trouver des raisons de se brouiller avec ses voisins ? En fait, le seul envisageable serait qu'il sied au pays monarchique voisin de frayer en eaux troubles. Ces dernières vingt-quatre heures Mohamed VI s'est vraisemblablement trouvé une tête de turc en la personne du Premier ministre tunisien, Youssef Chahed, dont il vient de décider l'annulation d'une audience, pourtant prévue dans le cadre du calendrier protocolaire pour les derniers réglages d'une série de réunions autour d'importantes actions appelées à consolider la coopération bilatérale entre les deux pays. La raison de cette entorse à l'exercice diplomatique ? Officiellement, pour le royaume chérifien, le monarque est porté pâle suite à un soudain malaise. Mais pour le gouvernement tunisien l'argument ne tient pas la route et d'aucuns parmi ses membres n'hésitent pas à dénoncer une mesure politique de rétorsion, qui, si elle ne dit pas son nom pour cause toujours l'usage de la bienséance diplomatique répondrait, mais alors plus que terre-à-terre, à une divergence sur la question du Sahara occidental dans la mesure où M. Chahed a demandé «le retrait d'un paragraphe relatif à la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental». En somme, un lèse-majesté resté en travers de la gorge du roi du Maroc d'autant plus que Youssef Chahed s'était arcbouté sur le principe d'oblitération de cette partie précise d'un document officiel lequel, du coup, changerait de manière radicale la constance immuable de la Tunisie sur la question du Sahara occidental et donc du droit de son peuple de décider de son destin. D'un autre point de vue, il s'agirait également d'une manœuvre du régime marocain visant à créer une brèche dans des relations tuniso-algériennes dont la profondeur en ont fait un axe régional inébranlable. Ainsi, dans la démarche grossière entreprise par le royaume, faudrait-il retenir tout aussi le fait que ses dirigeants ont cherché à tirer profit des difficultés économiques de la Tunisie et de leurs conséquences sociales avec notamment la naissance de troubles sporadiques, et, plus machiavélique encore, de la toute récente désignation de Youssef Chahed au poste de Premier ministre et forcément de son jeune âge auquel, vraisemblablement, le royaume chérifien a d'autorité et arbitrairement adjoint une inexpérience grâce ou à cause de laquelle, c'est selon, ses dirigeants seraient alors parvenus à lui faire signer un document malsain, et dans le fond et la forme, puisque l'idée générale chez ses concepteurs est qu'il affaiblirait l'Algérie, mettrait en position inconfortable la Tunisie. Ce qui n'a pas été le cas, le PM tunisien a fait preuve non seulement de maturité politique mais également et surtout de jugement en respectant la neutralité de son pays sur le conflit depuis son éclatement au début des années 1970. Le refus du roi du Maroc d'accorder l'audience prévue au Premier ministre tunisien, pourrait aussi être interprété par une volonté de créer un élan national, voire nationaliste, autour d'une affaire qui ne serait pas interne comme celle qui déstabilise le royaume depuis quelques mois dans la région bouillonnante du Rif. En exhumant via une démarche grotesque le conflit qui l'oppose au Sahara occidental à chaque fois qu'il se trouve confronté ou se sait menacée par une gronde populaire, Mohamed VI a périodiquement fait de l'appel au peuple une sorte de piqure de rappel qui ferait oublier à ce même peuple ses mauvaises conditions de vie, l'omniprésent système de répression, la corruption institutionnalisée… Quoiqu'il en soit, que ce soit à un stade régional, continental ou mondial plus aucun Etat n'est dupe de la duplicité du roi du Maroc. Et la Tunisie a été là ponctuellement pour le confondre. A. L.