Parlez-moi du 19 mars 1962. «Le 19 mars, c'est l'Algérie libre. C'est la date réelle de la libération du pays. Celle du 5 juillet, c'est la date officielle. A l'image de la naissance d'un enfant, le jour le plus important est-il celui où il est né ou celui de sa déclaration à l'état civil ?» répond un septuagénaire au visage éprouvé par la vie, les traits tirés, accoudé au comptoir d'un café près de la Grande Poste d'Alger, donnant en alternance, à un métabolisme apparemment exigeant, sa dose quotidienne de nicotine et de caféine. Ses propos se confondent parfaitement avec ceux de personnalités historiques réunies hier au siège du quotidien El Moudjahid pour tenir un forum en commémoration de l'événement. «Le 19 mars représente le jour où l'Armée de libération nationale a atteint son objectif. Les âpres négociations, sans concessions, menées par la délégation algérienne pour aboutir aux accords d'Evian ont eu lieu les armes à la main, dans ce sens où le FLN avait refusé un cessez-le-feu préalable aux discussions. Forts par son armé, la détermination de ses hommes et la maturité politique de ses négociateurs, le FLN a imposé aux Français toutes ses revendications», explique Me Ali Haroun, ancien président du HCE, ex-ministre et responsable du comité fédéral de la Fédération de France du FLN. «C'est la plus importante bataille du FLN», renchérit Mohamed El Mili, évoquant les négociations d'Evian. Après avoir longuement disserté sur les positions des six négociateurs algériens, dont Krim Belkacem était le président et Saad Dahleb le vice-président, Me Amar Ben Toumi, avocat spécialiste des droits de l'Homme et proche de Dahleb, a rappelé que les pourparlers étaient préparés de longue date : «La révolution avait constitué des dossiers sur les relations entre l'Algérie et la France. Dès 1958, on avait commencé à rassembler les pièces, les documents et toutes les informations sur la législation française, particulièrement en ce qui concerne le droit des minorités. En Tunisie, l'opération avait été confiée à un bureau tenu par Pierre Cholet et à Rabat à Boussouf.» Le 18 mars 1962, se terminaient les négociations qui donneront naissance aux accords d'Evian. L'essentiel des enjeux des pourparlers se concentrait autour des sujets tels que le Sahara, le référendum d'autodétermination et le cas des minorités européennes en Algérie. Le 19 mars, à 12h00, prend effet le cessez-le feu bilatéral qui met fin à plus de 7 ans et demi de lutte armée. Un million et demi de martyrs, des hectares de terres brûlés, des villages saccagés, des innocents torturés… Sur la question des atteintes aux droits de l'Homme et celles liées aux crimes de guerre et crimes contre l'humanité, Me Amar Ben Toumi explique que, dans les accords d'Evian, il était convenu de faire passer l'amnistie : «Même s'ils sont non prescriptibles, la loi algérienne jusqu'à présent ne statue pas sur ces crimes». Dans la rue algéroise, l'heure n'est pas à la commémoration. Ce n'est pas la journée de la femme, ni celle de la Saint-Valentin. Les gens passent et la mémoire s'efface. Un cortège ministériel passe en trombe sur l'avenue Hassiba, les citoyens ne lèvent même pas la tête. La rue n'est pas ornée de drapeaux nationaux, demain, elle le sera, campagne présidentielle oblige. Pourtant, la révision de la Constitution, en novembre dernier, portait essentiellement sur trois aspects : mandat présidentiel, droit des femmes et protection des symboles de la révolution qui sont ceux de la République algérienne démocratique et populaire. «Le 19 mars est une date qui devrait être plus valorisée», déclare Ali Haroun. S. A.