Alger, 9 avril 2009, 8 h 30. Cela fait plus d'une demi-heure que les bureaux de vote sont ouverts. La ville s'éveille d'une nuit pluvieuse. Le ciel de la matinée est dégagé et le soleil prend peu à peu le dessus sur les nuages. La circulation des véhicules est fluide et les rues s'emplissent de badauds. Une heure plus tard, au marché «Tnache» de Belcourt, il y a la cohue habituelle, le vote anime la plupart des discussions. Des débats naissent autour d'un étalage de légumes. Une dame, la soixantaine bien portée, emmitouflée dans une écharpe en laine, lance d'un ton énervé : «Je ne suis pas allée voter cette années. J'ai toujours voté mais cette année ‘‘barakat''. Je ne peux pas cautionner des politiciens qui acceptent que la pomme de terre soit vendue à 100 DA. Aujourd'hui, elle est vendue à 80 DA, mais cela ne change rien pour nous les simples citoyens qui avons des fins de mois difficiles. De plus, à quoi bon aller voter puisque les dés sont déjà jetés !» Un monsieur d'un certain âge lui réplique qu'il est important de donner l'exemple et d'inciter les jeunes à aller voter, en soulignant : «Rappelle-toi, El Hadja, de l'époque où on n'avait même pas le droit de respirer. Aujourd'hui, on a une voix qui compte et il est important d'aller voter, surtout pour les jeunes afin qu'ils acquièrent l'esprit citoyen. Ce matin, c'est mon petit-fils qui m'a accompagné pour aller voter et je suis fier de lui.» Le jeune vendeur réplique sur le ton de la taquinerie : «Il n'y a pas de problème, El Hadj, je suis prêt à voter si on me donne le visa. Je suis sûre que tous les jeunes iront voter si on leur donne le visa.» Le vieux alors s'emporte : «De toute façon, vous les jeunes, vous ne comprenez rien ! Vous ne mesurez pas le pouvoir que vous avez grâce à votre vote. Que Dieu vous apporte la sagesse. Si vous voulez vraiment que l'Algérie avance et améliorer votre situation, il faut aller voter.» Vers 11h, au marché Ali Mellah, de la place du 1er Mai, règne la même effervescence et ce sont les même sujets de conversation : les prix élevés des fruits et légumes et le vote. Mais le ton est plus modéré et les personnes plus enclines à remplir leur devoir de citoyen. Un couple, la quarantaine, le couffin empli de victuailles, accompagné de leur fille explique qu'ils ont effectué leur droit de vote avant de venir au marché. La mère qui se prénomme Linda précise qu'«il est important pour nous d'aller voter en famille. De plus, cette année, c'est la première fois que ma fille Melissa vote. Elle a été fortement sensibilisée. On n'a pas voulu l'influencer sur le choix de son candidat mais on lui a expliqué l'importance de l'acte d'aller aux urnes. Elle devait y aller avec des copines mais on a préféré le faire en famille». A la sortie du marché, un groupe de jeunes jouent aux dominos, leurs discussions enflammées tournent autour des matches de la veille, de la Ligue des champions européenne, surtout celui qui a opposé Liverpool à Chelsea et la victoire historique de cette dernière. Le vote, ils ne sentent pas concernés. Ils préfèrent ne pas être interrompus en plein jeu pour parler d'un sujet qui «ne va rien changer à la situation que l'on vit : sans boulot, sans logement et sans avenir». Vers midi passé, au marché «Clauzel», il y a peu de monde, les discussions sont moins animées, mais le vote est toujours présent. Un des marchands range ses légumes dans les caisses en confiant : «Aujourd'hui, je ferme plus tôt. D'habitude, je vais voter après avoir fait une sieste bien méritée, mais ce soir je suis invité à dîner chez de la famille et je ne veux pas rater l'occasion de faire valoir ma voix. Comme dit le slogan : Je ne veux laisser personne décider à ma place. Même si je sais au fond de moi que le gagnant est connu d'avance. Mais franchement je veux avoir la conscience tranquille en tant que citoyen.» Dès le début de l'après-midi, de la rue Didouche Mourad jusqu'à Larbi Ben M'hidi en passant par la rue Khelifa Boukhalfa, les trottoirs grouillaient de monde. Plus de la moitié des magasins sont ouverts. Le soleil printanier donne un air doux à cette journée à l'ambiance estivale. Un groupe de jeunes filles, très coquettes, habillées à la dernière mode font du lèche-vitrine. Enthousiastes, elles confient : «Ce matin on avait peur qu'il pleuve. El Hamdoullah, c'est une belle journée. On est parties voter toutes ensemble. Il y avait une bonne ambiance au bureau de vote. On est très contentes d'avoir participé à cette journée historique de l'histoire de l'Algérie. On va fêter cela en dégustant de bonnes glaces dans notre salon de thé préféré. Vivement le prochain vote !» Vers 19 h 30, peu avant la fermeture des bureaux de vote, les rues d'Alger se vident peu à peu et la plupart des magasins sont déjà fermés. Le rideau tombe sur une journée aux apparences ordinaires. La nuit prend possession des lieux. Le lendemain, le soleil se lèvera sur une nouvelle journée ordinaire pour les uns et extraordinaire pour d'autres… S. A.