«C'est tes mains qui ont cousu et c'est ta bouche qui a gonflé». Un chroniqueur oranais, caustique et génialement déjanté, a été bien inspiré de s'approprier ce proverbe arabe exprimant le choix assumé. En l'occurrence, celui d'une majorité d'électeurs. Il s'agit donc du vote du 9 avril dernier exprimé dans de larges proportions en faveur du candidat sortant. Que les suffrages favorables aient été ou non sublimés, arrondis, enflés, dopés à l'amphétamine électorale, améliorés à la marge ou à une échelle importante, là n'est finalement pas la vraie question. Comme disait cheikh Sahnoun, «la leçon» ne réside pas dans la lettre «noun» de l'alphabet arabe. Elle est plutôt dans son point de vocalisation, sans lequel elle serait une lettre morte. Vraiment, ce qui fait sens, c'est le choix des électeurs. Celui du statu quo ante, du changement dans la continuité ou de la transformation, c'est selon. Mais au-delà des interrogations légitimes sur la capacité du vainqueur réel à utiliser son troisième mandat comme s'il s'agissait du levier d'Archimède, il y a une question essentielle. Elle est tout à fait essentielle car son contenu est bien supérieur à epsilon, cette quantité algébrique infinitésimale qu'un très respectable dignitaire du régime a utilisée pour qualifier la fraude électorale présumée. Sur le fond, quelle que soit l'arithmétique électorale contestée, à tort ou à raison, les électeurs ont opté pour une offre politique précise. Ils ont choisi l'incarnation de la synthèse d'un islam traditionnaliste, d'un nationalisme paternel et d'une démocratisation au compte-gouttes homéopathique mais qui promet l'aurore démocratique. Le vote du 9 avril, c'est en fin du compte le choix de la figure du père tutélaire et rassurant, dispensateur de bienfaits. Dans la culture algérienne, notamment depuis les rois berbères et le beylicat turc, l'autorité, c'est l'aguellid, le chef de tribu, le cheikh. Logiquement, les électeurs, conservateurs par nécessaire habitude, ont refusé ainsi le saut dans l'inconnu, l'option de l'aventure, dusse-t-elle profondément être démocratique. En l'état actuel de la culture démocratique dans le pays, un autre choix aurait été surprenant, voire parfaitement incongru. En Algérie, la culture démocratique, c'est presque epsilon face à l'équation culturelle dont les deux termes sont l'unanimisme et l'autoritarisme. Cherchez la culture démocratique dans la rue, l'école, la famille, l'entreprise, l'administration, l'association ou la mosquée, et vous saurez la valeur exacte d'epsilon. Les relations s'expriment le plus souvent dans la verticalité et le rapport de force. Rarement dans l'horizontalité qui est le propre des sociétés qui débattent et qui ont la culture du compromis et du contrat. Prenez les partis politiques de l'opposition, surtout ceux qui ont un discours et des objectifs démocratiques, vous verrez qu'ils constituent un paradoxe démocratique. Si leur offre est démocratique, leur fonctionnement est généralement autocratique. D'où le zaïmisme, cette maladie politique dont les symptômes réguliers sont le populisme, l'autoritarisme et le «koursisme», version algérienne du syndrome du fauteuil, symbole philosophique du pouvoir. Les démocrates, les modernistes, les laïcs, les féministes, les trotskystes, les communistes, les culturalistes et autres rationalistes, ce n'est peut-être pas epsilon mais presque. Ce sont des «élites off-shore», selon la succulente formule du confrère déjà cité. Le choix effectué le 9 avril est donc logique. Il est conforme à l'histoire, la sociologie, l'anthropologie culturelle, la tradition politique qui offre une généreuse prime électorale au sortant. Une prime s'ajoutant au choix de l'homme anthropocentrique. Choix compréhensible, indépendamment des chiffres et des proportions électorales, de leur contestation légitime. Le vote du 9 avril 2009 est, à plus d'un titre, une expression politique typiquement algérienne. Ou alors, il aurait fallu importer des électeurs de contrées où la culture démocratique et les démocrates valent plus qu'epsilon. N. K.