L'affaire des moines de Tibhirine refait surface au détour d'un témoignage, alors que les déclarations de Sarkozy en font une «affaire d'Etat». Que cherche la France? La déclaration faite par le président français, Nicolas Sarkozy, dans laquelle il demande la levée du «secret défense» sur l'affaire des moines de Tibhirine, mérite d'aller jusqu'au fond des choses. Puisqu'il s'agit de levée du «secret défense», pourquoi alors, ne pas commencer par la guerre d'Algérie et les exactions dont le peuple algérien a été victime? Chiche! Commençons par les crimes français en Algérie. Dire la vérité sur les massacres collectifs, les enfumades et génocides et la torture de l'armée d'occupation française en Algérie. Lever le secret défense sur les exterminations perpétrées contre le peuple algérien. Ouvrir les archives d'une colonisation qui a duré près d'un siècle et demi. Que la France assume sa responsabilité entière sur les effets de ses essais nucléaires dans le Sud algérien. Chiche! Levez donc le secret défense. M.Sarkozy qui souhaite connaître la vérité sur la mort des moines, qu'il commence à connaître toute la vérité des crimes commis par l'armée français durant la guerre d'Algérie et plus généralement durant l'occupation, cela au nom de la France. Que le président français qui espère ne rien «cacher» sur cette «vérité», qu'il commence par dévoiler les secrets d'assassinat des dizaines de militants algériens qui ont été jetés dans la Seine à Paris un certain 17 octobre 1961. On a tout simplement l'impression de souffler sur des braises. Cette affaire ne peut être qu'une pièce théâtrale mise en scène par les politiques français et orchestrée par les médias de l'Hexagone. Ce sont de véritables tirs groupés de la part des responsables français qui s'acharnent contre l'Algérie. Les affabulations françaises se succèdent. Pourquoi maintenant? La mèche est venue de l'ex- général français François Buchwalter qui, le moins que l'on puisse dire, cherchait à imputer l'assassinat des moines à l'armée algérienne. Il a été suivi peu après, par de hauts responsables français au pouvoir, d'autres à la retraite, qui ont sorti leurs griffes. A commencer par le président Nicolas Sarkozy l'ancien Premier ministre Alain Juppé, Michèle Alliot-Marie, ministre française de la Justice et Hervé de Charrette, ancien ministre des Affaires étrangères et Alain Marsaud, ancien chef du service de lutte antiterroriste du parquet de Paris, sont tous revenus à la charge. Nicolas Sarkozy est allé très loin dans ses déclarations sur le sujet en question. Après avoir déclaré la veille (lundi), «laissez la justice faire son travail», le président français est revenu à la charge 24 heures plus tard en faisant des déclarations qui ne peuvent que laisser dubitatif lorsqu'il déclare: «Je vous dis une chose, je veux la vérité. Les relations entre les grands pays, elles s'établissent sur la vérité et non pas sur le mensonge», a t-il affirmé lors d'un point de presse animé, hier à Paris, à l'issue de sa rencontre avec son homologue brésilien Inacio Lula da Silva. Ne s'arrêtant pas là, M.Sarkozy fait une déclaration très forte en annonçant: «On ne peut pas dire que l'amitié entre les peuples et entre les pays peut résister aux mensonges. Il faut faire la lumière, il n'y a rien à cacher.» Ces déclarations ont été suivies par celles de la ministre française de la Justice, Michèle Alliot-Marie, qui promet de mettre «tous les moyens pour mener à bien leur enquête». Ne serait-il pas intéressant pour la Justice française de mettre tous les moyens pour déterrer «la mémoire» de toutes les populations massacrées par l'Empire français en Algérie comme en Afrique et en Asie? Mme Alliot-Marie a annoncé des «investigations supplémentaires» après les «révélations» tardives de l'ancien attaché militaire français à l'ambassade de France à Alger. Ce témoignage, dit-elle, «apporte un élément nouveau pour lequel de nouveaux éléments d'investigation supplémentaires auront lieu» dans une déclaration à la presse française, Mme Alliot-Marie a indiqué que les magistrats «disposent et continueront de disposer de tous les moyens pour mener à bien leur enquête, y compris en matière de coopération internationale». Et de rassurer: «Tout sera mis en oeuvre afin de connaître les auteurs et les conditions de cet assassinat.» Les témoignages de «Monsieur X» restent la devise des politiques français. Comme l'a fait le général Buchwalter, un ancien chef du service de lutte antiterroriste du parquet de Paris, Alain Marsaud, apporte son grain de sel. Ce dernier indique avoir reçu dans son bureau «une personne non-identifiée», à l'Assemblée nationale qui se présentait comme étant «un membre des services de renseignements» algériens. «Tout simplement. Ecoutez, j'appartiens aux "services" algériens et je viens témoigner». Tiens donc! Ainsi, cet ancien député affirme avoir recueilli les témoignages de «X» qui lui aurait dit «la vérité» sur l'assassinat des moines. «L'affaire des moines était beaucoup plus compliquée qu'on ne le disait et qu'il ne s'agissait pas d'une opération GIA (Groupe islamiste armé, Ndlr) avec enlèvement et assassinat, mais d'une opération montée par les services algériens ou par l'armée algérienne», a-t-il raconté. Et de dire qu'il s'agit d'une affaire «enterrée volontairement». En aucun cas, ce député n'a révélé l'identité de cet Algérien. Il s'agit tout simplement de «Monsieur X» qu'il ne connaît même pas et qu'il n'a plus revu depuis! Quand cet entretien a eu lieu, pourquoi le député français a gardé par-devers lui, ce témoignage qui, en fait, n'apporte aucune certitude quant aux faits qu'il révèle? De tels témoignages peuvent-ils être crédibles, ou pris pour argent comptant? Or, ces déclarations ont été rejetées dans le fond et dans la forme par Hervé de Charrette, ministre français des Affaires étrangères de l'époque concernée. La version de M.Marsaud «elle est quand même au quatrième degré: c'est l'homme qui a vu l'homme qui a vu l'homme qui a tué l'ours», a commenté l'ancien ministre français. Ce dernier apporte son témoignage et remet les pendules à l'heure. Ayant dirigé la cellule de crise installée au Quai d'Orsay sur ce dossier, le diplomate français corrige l'ex-général français François Buchwalter. Dans son intervention sur la chaîne d'information continue, LCI, M. de Charette a considéré le témoignage de l'ex-général comme «une opinion parmi tant d'autres». Le diplomate et le militaire Et d'annoncer des démentis en cascade. «En tant que ministre des Affaires étrangères, je n'ai jamais eu connaissance de cette thèse développée aujourd'hui par M. Buchwalter. Pour moi, ce n'est qu'une opinion, celle d'un fonctionnaire parmi tant d'autres», a-t-il déclaré à L'Express. Sur LCI, le diplomate développe mieux son témoignage et remet les responsables français d'aujourd'hui à leur place. «Je suis personnellement porté à m'en tenir à la version la plus pratique, celle qui s'appuie sur des faits, c'est-à-dire le GIA a revendiqué ces événements, il a demandé en contrepartie des initiatives de la France, c'est-à-dire la libération d'Algériens détenus, ce que nous n'avons pas fait, il a menacé de les tuer et quand ils ont été découverts, il a déclaré que c'était lui-même qui l'avait fait. Donc c'est ça les faits, tout le reste c'est des commentaires.» De son côté, Alain Juppé, Premier ministre français au moment de la mort des moines, qui a délégué des diplomates français à Alger pour négocier avec les éléments du GIA, s'est étonné sur le pourquoi de cacher la vérité. Il a indiqué qu'il «ne voit pas ce qu'il y a à cacher sur ce drame». Et d'ajouter: «Dès que nous avons appris l'enlèvement des moines de Tibhirine par le GIA, nous avons lancé toutes les procédures et tous les moyens pour essayer d'obtenir leur libération». «Malheureusement, ces négociations ont échoué. Depuis lors, des rumeurs circulent sur l'origine de ce massacre.» L'ancien Premier ministre de Jacques Chirac a estimé, en outre, qu'«il faut faire confiance à la justice pour faire toute la lumière sur cette dramatique affaire». Sur un autre plan, la presse française annonçait un tête-à-tête Sarkozy-Bouteflika, en marge du Sommet du G8 qui s'ouvre aujourd'hui en Italie pour des discussions sur le sujet. A l'heure actuelle, aucune réaction officielle des autorités algériennes n'a été enregistrée. La seule et l'unique version officielle des faits est que les moines ont été assassinés par le groupe du GIA. C'est la version officielle que même les responsables français de l'époque avaient admise. L'enlèvement des moines de Tibhirine a été revendiqué le 26 avril 1996 à l'époque par le chef du Groupe islamique armé (GIA), «Abou Abderrahmane Amine», alias Djamel Zitouni. En 2004, une commission rogatoire internationale n'a retenu et validé que la thèse selon laquelle les moines ont été liquidés par les groupes islamistes. Mieux encore, la République française a envoyé des émissaires, mandatés à l'époque par Alain Juppé, Premier ministre, et Charles Pasqua, ministre de l'Intérieur, à son ambassade à Alger pour mener des «négociations» avec les éléments du GIA afin de procéder à la libération des moines. Le GIA avait proposé d'échanger les moines contre ses militants islamistes détenus. Quelques jours plus tard, cette organisation terroriste annonce avoir décapité les captifs - assassinés le 21 mai - les terroristes accusant le gouvernement français d'avoir «trahi» les négociations-. Annonce faite le 23 mai par le GIA, soit deux jours après le crime commis.