La troupe nationale de théâtre de Guinée a présenté, vendredi dernier sur les planches de la salle El Mouggar, la pièce Ultime voyage mise en scène par Ibrahim Sory Tounkara qui interprète aussi le rôle du riche. Dès la première scène, le ton vénal de la dualité de l'être humain et du conflit entre le bien et mal est donné. Rama, interprétée par la comédienne danseuse Aissata Deen Magassouba, se débat dans tous les sens, avec des gémissements suggestifs, contre une ombre blanche. Puis la scène éclaire le personnage de Saliou, son amoureux à qui elle a lancé un appel de détresse et donné rendez-vous dans «une terre aride où se trouve une termitière sise sur une route ne menant nulle part». Arrivé sur place, épuisé par son long voyage, il est attaqué par trois hommes qui le ligotent et se mettent à le torturer pour connaître la raison de sa présence. Il y a tout d'abord le riche ruiné, celui qui a profité de troubles et des pilleurs qui lui ont tout volé avant de tuer l'amant de sa femme, ensuite il y a le musicien qui, lors de l'épidémie de choléra, a été séquestré et torturé par la police l'accusant de chanter des paraboles qui étaient une incitation à la révolte, et puis il y a le gardien du dépotoir d'ordures qui a perdu l'esprit après avoir trouvé «un fœtus emmailloté dans son placenta». Sur scène, l'action est violente et les paroles sont crues, tel un coup de poing en plein dans le ventre, la troupe guinéenne surprend et choque parfois le public, à l'instar de la scène où Saliou est écartelé par ses tortionnaires qui veulent l'émasculer avec une pince. Après réflexion, ils opteront pour ses orteils et le long cri de douleur du torturé transpercera toutes les personnes présentes. De même pour la scène de la torture à la gégène. Ainsi, les victimes sont devenues des bourreaux et redeviendront des victimes lorsque Saliou se libère. Son terrible cauchemar devient insoutenable, lorsque Rama découvre que les trois hommes sont en vérité les anciens compagnons de celle qu'il aime. Rama entre alors sur scène et lui demande de lui pardonner son passé. Elle est victime de son image dans le miroir qui la rend «maudite et mauvaise». Le rideau tombe sur un Saliou abattu. Il refuse d'accompagner Rama qui le convie à faire avec elle l'ultime voyage, dans la matrice créatrice, là où le mensonge, le vice, la cruauté, la haine et la trahison n'existent pas. A propos de l'absence de décor, le metteur en scène explique que c'est «une démarche purement philosophique. Aujourd'hui, les gens sont pauvres, je pense que, dans un pays comme le mien, où le théâtre ne reçoit pas de subventions, bien que notre actuel président s'investisse énormément dans ce domaine, on le fait avec les moyens que l'on possède, le corps, la voix et l'âme des comédiens». Ibrahim Sory Tounkara explique qu'il est arrivé à la mise en scène après avoir pratiqué pendant plus de dix années la comédie et côtoyé des metteurs en scène français, brésiliens, canadiens et africains. En Guinée, on le surnomme le féministe. Il a monté un spectacle intitulé Moi femme pour une campagne de sensibilisation aux droits de la femme. Il a également participé à une autre campagne de sensibilisation contre les mutilations génitales féminines. Le metteur en scène guinéen précise qu'il ne défend pas seulement les femmes mais tous les êtres faibles et vulnérables de la société. C'est pour cela qu'il privilégie une forme de théâtre qu'on pratique énormément en Afrique subsaharienne, un théâtre de sensibilisation et d'éducation. M. Tounkara est aussi directeur du théâtre scolaire et universitaire de Guinée. Il organise chaque année un festival intitulé «les marmots fêtent l'art». Depuis des années, sur les 10 000 enfants qui sont passés par le festival, certains ont choisi et réussi à devenir des artistes professionnels en Afrique ou à l'étranger. S. A.