Photo : S. Zoheir Par Hassan Gherab Entrée originale pour un concert tout aussi original du pianiste et jazzman cubain Omar Sosa, lundi soir dernier à l'auditorium de la radio nationale qui accueille la première édition du Festival international de jazz d'Alger que la 2ème édition du Panaf a intégré. Le public qui a empli la salle, aura été royalement servi. Agitant un hochet de la main droite, une écharpe rouge à la main gauche, Omar Sosa, en gandoura blanche et chéchia, chaussé de babouches, fait son entrée avec des gargouillis comme fond sonore. Arrivé devant le piano à queue, il secoue l'écharpe et se met ensuite à faire vibrer les cordes du piano en utilisant le hochet en guise de marteau. Il s'assoit au clavier et, sous les mains expertes qui courent sur les touches, les notes développent le thème. Une phrase est enregistrée sur la chambre écho et reprise avec une petite incursion de la boîte à rythme et des effets acoustiques pour servir de fond sonore à Sosa qui improvise la suite, développe le thème et plaque le dernier accord. Le public salue la prestation comme il se doit, avec force applaudissements. «Il est imprévisible. On ne peut pas deviner la suite», dira une spectatrice. Sosa se lève et, s'adressant à la salle, dira : «J'ai découvert quelque chose de très beau et je tiens à la partager avec vous. Je vous demande d'accueillir Hadj Barka El Foulani.» Les spectateurs s'exécutent et applaudissent l'entrée du maalem qui est accompagné d'un flûtiste et d'un percussionniste. Le son pathétique de la gasba (flûte en roseau) s'élève. Le piano va à sa rencontre. La derbouka accompagne les battements des mains du soliste, Hadj Barka El Foulani, qui chante d'une voix grave un medh. Sosa se laisse emporter puis se penche sur son clavier. Ahellil du Gourara et jazz se croisent, se mêlent et s'épanchent sur le terrain fertile de l'improvisation. Ça plaît, à Sosa comme à son public. «Ça c'est la vérité. Ça c'est la tradition», clame le pianiste en serrant dans ses bras Hadj Barka El Foulani. Ne se résignant pas à quitter le trio que le jazzman avait découvert la veille seulement, et qui, lui, également était disposé à poursuivre l'expérience. D'un commun accord, Sosa et le groupe repartent pour un deuxième tour qu'ils improviseront, évidemment. Sosa est ébloui. Penché sur le clavier, il plaque des accords sur les basses pour accompagner la voix grave du chanteur. La sortie sera aussi difficile pour les artistes que pour le public qui savourait cette rencontre entre deux genres, deux musiques, deux cultures. Sosa se retrouve seul sur la scène et enchaîne avec un morceau de jazz qui balancera entre hot et charleston. La chambre écho entre en jeu. Le pianiste se lève et se penche sur les cordes qu'il martèlera des deux mains, les utilisant comme un instrument à percussion. Il se rassoit. Laisse courir ses doigts sur le clavier puis, comme s'il venait d'avoir une révélation, se relève et demande à toute la salle de battre la mesure. Ça l'inspire. Les notes jaillissent claires et joyeuses. Sosa revient à son public pour lui annoncer qu'il a connu «une chanteuse qui m'a touché parce qu'elle a beaucoup de spiritualité. S'il vous plaît, applaudissez Souad Asla». La chanteuse algérienne (elle est originaire du sud algérien et vit en France) fait son entrée sous les applaudissements nourris des spectateurs. Debout, elle chante d'une voix émouvante l'Afrique violée par les esclavagistes. C'est une invite à l'improvisation à laquelle Sosa répond par une composition qui encadre admirablement la voix puissante et, effectivement, chargée de sentimentalité, de spiritualité ! A la fin du morceau, le pianiste embrasse Souad, la serre dans ses bras et se tourne vers le public pour lui annoncer, et à elle également, qu'elle va chanter une 2ème chanson. Ne lui laissant aucun recours, il se rassoit à son clavier. C'est la meilleure manière d'annoncer une improvisation. Car ça sera de la pure impro, du pur art. Sosa fait corps avec son piano et accompagne, prévoit !, la moindre intonation de la voix, ses moindres flexions et variations. La voix s'abaisse, le piano suit. Elle devient souffle puis revient. Sosa fait signe à son public et lui demande d'entrer dans le jeu. Des centaines de mains battent la mesure. L'osmose est totale. Difficile de trouver la sortie quand toute une salle s'est mise au diapason avec la scène. «Merci. Il est très généreux», dit Souad en enlaçant Sosa. Encore quelques envolées et on s'oblige à finir, même si l'assistance se refuse de briser le charme, que le groupe de jazz algérien Indjez, qui assurera la deuxième partie du spectacle, s'efforce de reproduire. Il y réussira en partie.