«C'est une véritable schizophrénie», observe Omar, un Algérois de 32 ans, quant à la gymnastique quotidienne pour adapter son langage en fonction du lieu où il se trouve. «On n'utilise pas le même vocabulaire selon que l'on s'adresse à un membre de sa famille, à un ami, à un collègue de travail ou à une personne étrangère», affirme-t-il. Le constat est général. Le langage de la rue diffère en tonalités et en vocables de celui qu'on utilise dans le milieu familial. «Parfois, je me rends compte que je suis double ou même multiple», soutient Omar qui raconte le choc subi par sa femme après le mariage. «Elle n'en croyait pas ses oreilles. Moi, qui avais une façon de parler très virile et une voix rauque dehors, changeais complètement une fois au milieu de mon cercle familial», s'en amuse-t-il. Là, le débit de paroles se fait plus lent, les mots filtrés et la façon de prononcer plus douce. «C'est par respect à nos aïeuls», explique le jeune homme. La rue de tous les maux Omar n'est pas le seul à avoir fait ce constat. Fille ou garçon, de tout milieu social ou niveau d'instruction, les Algériens ont en eux cette double facette. Dans la rue, l'agressivité et la vulgarité envahissent le parler des jeunes et moins jeunes. C'est la loi de la jungle. Pour être écouté, il faut savoir respecter le mélange détonnant qui caractérise le langage de la cité. Un excès de politesse pourrait se retourner contre son auteur. «Il y a des mots clés dans le jargon de la rue. C'est ce qu'on pourrait qualifier de virgule. Généralement, ce sont des mots d'une vulgarité affligeante. Pour se faire entendre donc, il faut parler fort, utiliser ces interjections et adopter un ton agressif», explique de manière didactique Mehdi, un étudiant en biologie. «Et gare à toi, si tu utilises trop de mots français dans ton langage. Tu pourrais être traité de fils à maman ou pis », avertit-il. Les femmes s'y mettent aussi «Aujourd'hui, la politesse n'est admise que lorsqu'elle émane de la gente féminine (et encore…). Parler ‘'sainement'‘ sans grossièretés ou utilisation de mots vulgaires même pour parler de sujets sérieux devient rare. Il n'y a qu'à prêter l'oreille dans la rue aux discussions des gens pour se rendre compte de l'ampleur du phénomène», poursuit Mehdi. Malheureusement, ce constat n'est pas propre à la gente masculine. Les femmes s'y mettent aussi. A la recherche d'une égalité parfaite avec l'autre sexe, la femme, depuis qu'elle a investi la rue et les milieux professionnels, s'est un peu débridé la langue. Il n'est pas rare, en effet, d'entendre des obscénités dites avec des voix aigues. Les mêmes interjections grossières sont prononcées par le sexe faible. Mais une fois à la maison, le parler est parfait. Où, au pire, pour exprimer sa colère, on traite son vis-à-vis d'un nom d'animal. S. A.