Photo : S. Zoheir Par Ziad Abdelhadi Les rendements et la production halieutiques sont en nets reculs ces dernières années. Il en a résulté une envolée des prix à la consommation jamais égalée auparavant. Et pour preuve, la sardine s'est vendue pendant tout l'hiver 2009, à plus de 300 DA le kilogramme. Quant au poisson blanc, il est devenu un luxe pour des pans entiers de la population. Devant cette extrême cherté des poissons bleu et blanc, les consommateurs ont vite ciblé la spéculation comme étant responsable de la hausse vertigineuse des prix. Ce à quoi ont riposté les présidents de chambre de la pêche, à chacune de leur sortie médiatique, en lançant : «Un bouc émissaire facile. C'est bel et bien la faiblesse des prises à répétition qui a rendu le poisson aussi cher» et de poursuivre : «Les sorties en mer des marins pêcheurs se soldent souvent par de très faible prises. Les quelques cageots débarqués un fois leur embarcation à quai sont vite achetés à prix forts.» Et de signaler : «Ils faut aller chercher le poisson ailleurs que dans les zones traditionnelles de pêche. Les niches connues sont désertées par les espèces qui les fréquentaient.» Devant ce constat, une question s'impose : comment en sommes-nous arrivés là ? La pêche excessive a eu un impact négatif sur le stock parental De l'aveu même des professionnels du secteur de la pêche, quand la pression de pêche est telle qu'il ne subsiste peu de reproducteurs, les risques de faibles pêches augmentant. En clair, le stock se fragilise et son renouvellement devient problématique. Autre indication donnée par ces derniers : nos marins pêcheurs ont cette fâcheuse tendance de fréquenter toujours les mêmes zones de pêche et l'idée d'en chercher d'autres est souvent remise aux calendes grecques. Et d'expliquer : «Les pêcheurs s'orientent, souvent, vers les mêmes zones surexploitées, au moment où certains endroits sont littéralement boudés alors qu'ils regorgent de poissons.» Il est bon de rappeler que devant cette obstination à vouloir pêcher dans la même zone, et aussi devant le fait que des armateurs n'ont de cesse de pêcher des quantités considérables de petits poissons, empêchant ainsi les stocks de se renouveler, le ministre a décrété l'instauration d'une période de repos pélagique allant du 1er au 31 mai. «Cette époque d'interdiction de pêche est rarement respectée», ont reconnu des intervenants à un séminaire sur le thème de la protection des ressources halieutiques qui s'est tenu dernièrement à Alger. Toujours lors de cette journée de sensibilisation, des responsables du secteur ont révélé que «durant la période allant du début septembre à la fin octobre, de nombreux armateurs pêchent des quantités importantes de petits poissons, notamment la sardine et le rouget alors que la réglementation est claire et stipule que la quantité de petits poissons pêchés ne doit pas dépasser les 20% de la prise». Selon M. Fliti Khaled, cadre responsable qui a donné une conférence sur le thème du repos pélagique lors de la rencontre citée plus haut, la mesure d'interdire la pêche pendant quatre mois vise avant tout à contrôler le niveau de pêche et du régime d'exploitation appliqué au stock de façon que l'exploitation soit adéquate pour garantir une utilisation durable des ressources. «En clair, le repos biologique est nécessaire car il permet de protéger le frai (ponte et croissance des larves assurées)», a indiqué Fliti. A propos de reproduction, ce conférencier a aussi tenu à expliquer dans son exposé qu'elle (la reproduction) a lieu dans les eaux littorales peu profondes et après un certain temps, les jeunes migrent vers les zones de pêche. Et de préciser dans la foulée : «Les immatures (œuf, larve, alevin juvénile) destinés à grossir les effectifs ainsi que les femelles ‘'grainées'‘, qui migrent vers les zones de pêche, sont très vulnérables. C'est pourquoi ils ont besoin d'être protégés contre la prédation ou non pêchés pour qu'ils puissent mettre bas, d'une part, et laisser les larves atteindre le stade de la maturation.» Toutefois, M. Fliti a averti : «Aucune mesure de réglementation de la pêche n'atteindra ses objectifs si l'on ne remplit pas la condition si les professionnels ne sont pas convaincus du bien-fondé de la mesure du repos pélagique qui est nécessaire et bénéfique.» Dès lors et en supposant que la réglementation soit appliquée à la lettre, il restera, pour arriver à de niveaux de pêche appréciables de se prémunir contre la pollution marine et de gérer au mieux les effets du changements climatique. Concernant la pollution de la mer par les eaux usées, ce même responsable a affirmé que presque toute la côte est atteinte par ce phénomène. Pour preuve, l'industrie nationale est située presque entièrement sur le littoral : on en dénombre, selon un dernier recensement, 5 242 unités industrielles, soit plus de la moitié (51%) du total. La pollution est de plus en plus menaçante Autre source de pollution marine : les grandes villes côtières (Alger, Oran, Annaba, Skikda, Arzew, etc.) qui déversent toutes leurs eaux usées et leurs résidus fluides vers la mer. Ce qui, par voie de conséquence, engendre une forte pression sur nos ressources marines. Pis, des décharges publiques en bordure de mer ont fait leur apparition, ce qui ne peut que susciter de l'inquiétude sur l'avenir de notre littoral. Selon Farouk Hacene, inspecteur auprès du ministère de la Pêche et auteur d'une conférence à la journée de sensibilisation citée plus haut, outre l'action humaine (pollution industrielle et démographie), nos richesses marines sont menacées également par une pollution biologique. Elle proviendrait, d'après cet inspecteur, de certaines algues, notamment la «caulerpa taxifolia», surnommée l'algue tueuse ou la peste verte des fonds marins. Elle a été signalée sur les côtes tunisiennes, une algue tropicale originaire du sud de l'Australie. Elle se répand au détriment des herbiers marins qui alimentent le poisson au point de causer la mort des poissons du littoral. En somme, la pollution marine qui ne cesse de s'accentuer a déjà révélé ses effets néfastes sur la faune puisque, selon Hacene Farouk, certaines espèces commencent à disparaître de notre littoral, notamment les tortues marines, et d'autres poissons en danger pour cause de changement climatique. L'inspecteur du ministère a aussi évoqué dans sa conférence d'autres facteurs pouvant mettre en péril nos ressources halieutiques, citant, entre autres, les effets du changement climatique. «Il est à présent reconnu que les tendances et la variabilité du climat influent grandement sur l'abondance des poissons et la dynamique de leurs populations», a-t-il rappelé. Des études ont été menées pour tenter d'évaluer l'impact du changement climatique sur la faune marine. Parmi les effets les plus présents, il a été décelé plusieurs modifications : sur la distribution de la faune sur les eaux côtières, sur la migration des espèces et, enfin, sur la production, car la période de reproduction est plus lente chez certaines espèces de poisson. Une preuve indéniable de tout l'impact du changement climatique sur l'activité de la pêche d'où les risques de tarissement des volumes des prises. Autre constat de terrain mis en exergue par Hacene Farouk, «le faible taux d'exploitation actuellement appliqué sur les eaux territoriales». En effet, les statistiques sont là pour le prouver. La production enregistrée, en 2008, a été de 156 000 tonnes pour une biomasse estimée à 600 000 tonnes. Un écart qu'il faut ajouter aux véritables raisons de la cherté du poisson sur les étals. C'est, donc, un chantier important qui attend tous les acteurs du secteur de la pêche avec ce leitmotiv : produire plus et protéger nos ressources halieutiques.