Photo : Hacene Par Mohamed Bouhamidi Un succès populaire phénoménal a marqué la première du Salon international du livre d'Alger (SILA), cuvée 2009. Il valide, à sa façon, la décision de le délocaliser. Décision heureuse, bien qu'accidentelle, et il sera difficile dans les prochaines années d'offrir moins bien que ce cadre physique. A la comparaison, notre Safex prend un coup de vieux et apparaît plutôt grise. Le lieu est plus aéré, plus vert, presque reposant et le soleil a rajouté à la luminosité que la grande tache blanche du chapiteau a installée. Les éléments extérieurs ne sont pas seuls dans cette impression générale. Le chapiteau –clin d'œil au slogan «Le livre roi»- monté en un temps record -qui rassure sur les performances dont sont capables des entreprises algériennes– offre donc aux visiteurs un confort visuel, une unité de l'espace, un sentiment d'ordre, une aisance du déplacement, une orientation facilitée. La moquette –petit détail ?– renforce la sensation de propreté et de netteté si indispensable pour mettre à l'aise les visiteurs. Enfin, cette compacité rend très visibles et très proches les agents chargés de la sécurité, ce qui rassure et détend les parents. Le caractère agréable est un argument commercial important mais il n'est certainement pas le seul facteur de ce succès. Les familles étaient nombreuses, vraiment nombreuses, mais dans la foule –il s'agit bien de foules de visiteurs– émergent ces groupes de jeunes dont l'âge, le look et les cartables montrent bien qu'il s'agit d'étudiants. En nombre bien plus important que les années précédentes. L'explication est fournie par les étudiants eux-mêmes : Chevalley est le centre qu'ils peuvent rejoindre de tous les coins d'Alger grâce au transport universitaire. Ils n'avaient aucune difficulté de passer de Bab Ezzouar ou d'ailleurs au complexe olympique hormis la difficulté de l'encombrement. S'ils ont été accidentels, l'option de la délocalisation et le choix du lieu sortent finalement validés par le terrain et l'expérience. Cela ne suffit pas pour juger de la qualité «politique» du salon et il faut aller chercher ailleurs les signes d'un changement dans «le concept» comme disent aujourd'hui les jeunes. Le plus important, à mes yeux, est l'espace créé pour les enfants. Il était essentiel que le plaisir accompagne leur(s) premiers(s) voyage(s) vers le livre, tous les spécialistes vous le diront. Ils garderont de ce SILA l'ineffable bonheur de l'association de la lecture avec le sable, les jeux, les clowns, un «vrai» charlot, une petite tente pour eux tous seuls, des animatrices, des tables, du matériel pour dessiner et cette «galerie d'art» qui expose leurs dessins. Cela n'a l'air de rien ? Erreur, cela veut dire qu'un responsable s'est rappelé que la socialisation de la lecture se joue à cet âge stratégique et avec ces méthodes qui les sortent de l'obligation scolaire pour les mener vers le rêve. Et donc que ce responsable, ou ces responsables, conçoivent justement que la lecture, d'abord et essentiellement, est un acte social et un acte de socialisation qui met en jeu des facteurs et des mobiles psychologiques, mais c'est la vision sociale que nous avons de la lecture qui reste décisive. De ce point de vue, cet espace enfant va jouer un rôle important. Nous savons bien qu'au niveau des wilayas sont reproduits les modèles offerts par les salons du livre organisés à Alger. On peut raisonnablement espérer que ce modèle soit reproduit et réfléchi au niveau local et induise des débats et des réflexions sur la façon d'intéresser les tout petits au livre. Le modèle joue un grand rôle dans les avancées sociales et il est bon de le rappeler pour que cet espace enfant soit encore développé, amélioré, rendu encore plus ludique et attrayant. Je ne sais pas si le confort des parents a motivé les concepteurs mais cet espace est aussi une garderie et cela soulage réellement les parents qui ne peuvent confier leurs enfants à une garde. Et pourquoi confier les enfants à une garde si, justement, aller vers le livre réserve à l'enfant la surprise de ce plaisir. Quelques parents restent d'ailleurs auprès de leurs enfants pendant les jeux et surtout pour les voir terminer leurs dessins et les afficher. Cet espace enfant est un vrai signe de changement. C'est également un nouveau pas de franchi. Pourquoi insister sur ce point qui n'apparaît que comme un aménagement, une commodité sans plus ? Il montre par le creux et la comparaison combien la conception de l'animation dans les salons précédents était salonnarde, élitiste –et faussement élitiste–, combien elle était loin de cette notion de socialisation qui est pourtant centrale pour toute approche sérieuse de la question de la lecture. C'est cette notion qui nous libère du mimétisme et nous pousse à penser nos salons du livre en fonction de nos besoins nationaux, de nos besoins réels. Faire les salons dont nous avons besoin pas les salons qui prennent modèle dans d'autres pays comme le laissent comprendre certaines discussions qui s'extasient sur ceux qui se passent ailleurs en oubliant que leurs organisateurs les conçoivent selon leurs besoins et leurs héritages culturels. Et nous aurions fait un grand pas en avant si désormais on se posait la question : de quel salon avons-nous besoin ? Voilà ce qui se gît derrière ce simple signe et que nous avons intérêt à sortir de son état latent pour lui donner consistance et pensée. La démarche présentera certainement des difficultés mais c'est la seule voie possible de distinguer dans une manifestation aussi complexe mettant en jeu des intérêts culturels et commerciaux aussi importants pour que nos besoins et nos besoins seuls restent la boussole qui guide les décisions et l'action des responsables. Un tout petit fait mais quotidien est passé inaperçu parce qu'il semblait naturel. Ce salon a invité Sid Ahmed Agoumi. Dans uasiment toutes les rencontres, il a lu des extraits et vous savez qu'il est parfaitement bilingue. Il a donné à ces rencontres culturelles un aspect vivant et ludique car les textes deviennent vivants et ludiques dans ses lectures. Je ne sais comment il fait mais il transfigure le rapport au texte dans un sorte d'appropriation mutuelle, voire une possession mutuelle. Cela, c'est l'effet certainement attendu par les responsables du salon. Mais, en dehors des salles de conférences, les gens, dont des enfants, se précipitent pour le saluer, lui serrer la main, et j'ai entendu quelques-uns des remerciements émus que lui adressait son public pour les rôles qu'il a incarnés et ce, malgré une longue absence. Moi, cela ne me semble pas «naturel». Et je vous invite à m'aider d'en comprendre le sens. Pourquoi ce bonheur pour tous de rencontrer Sid Ahmed Agoumi qui rajoute à l'attrait du salon ? Faut-il systématiser l'expérience et faire de ce type de salon une occasion de rencontrer des stars qui se sont confirmées dans d'autres domaines de la création ? Faut-il impulser des actions igoureuses dans les médias pour que nos poètes et nos écrivains deviennent des stars ? Cela n'est évidemment pas possible car le rapport émotionnel de masse rendu possible par le cinéma, la télé ou la chanson n'est pas possible pour les écrivains, et, dans le monde arabe, seul Mahmoud Derwish a atteint cette popularité. Je me demande quel effet aurait produit l'annonce qu'Agoumi lise des textes pour le large public, un peu dans la tradition poétique de notre pays ? Car les conférences et les débats ne concernent encore qu'un public averti mais restreint. Il faut revisiter ce concept en le socialisant, c'est en examinant la possibilité pour qu'en plus des débats du salon les invités puissent s'adresser à un plus grand public dans les universités et quelques maisons de la culture. Les invités de cette année ont animé des débats de grande qualité selon un avis unanime. Le cas Agoumi revient à se poser la question si le salon ne doit pas se saisir des autres arts pour approfondir son impact culturel sur le plus grand nombre possible de personnes au-delà de l'intérêt direct de sa présence pour la lecture des textes au cours des hommages et conférences. Un vente dédicace au moins renforce ce questionnement. Hic, le caricaturiste d'El Watan, et Omar Zelig, l'animateur radio actuellement privé de son émission, ont attiré de nombreux lecteurs. Le livre de Hichem est un beau livre, certes, et Omar Zelig comme Hichem sont des stars encore que Omar est une star radio et il a dédicacé un livre. Son succès porte sur ce livre qu'il écrit sur la B.D. Leur succès nous met tout de suite face une question. Pourquoi éprouvons-nous tant de peine à mieux faire passer le travail des écrivains en général ? Quels sont les facteurs qui entrent en jeu ? Bien sûr, quelques éléments de réponse viennent à l'esprit comme évident. Les évidences ne suffisent plus, outre qu'elles cachent plus la réalité qu'elles ne la dévoilent. Il faut absolument financer des études, des recherches, des sondages pour mieux cerner l'état actuel de la lecture, le rapport au livre, le rapport aux auteurs, les questions de communication entre l'écrivain (toutes écritures confondues) avec le public, etc. Un travail approfondi des chercheurs en sciences sociales devient nécessaire pour de futures avancées.