Avant même le baisser de rideau, le président Abdelaziz Bouteflika livrait sa lecture du projet franco-européen de l'Union pour la Méditerranée (UPM). Fait inédit, il dévoile sa vision dans une interview à l'agence nationale de presse APS, la première du genre accordée par le chef de l'Etat à un média algérien depuis son avènement au pouvoir. On est finalement face à un président algérien dubitatif, à défaut d'être franchement sceptique ou carrément pessimiste sur l'avenir de l'UPM, solennellement proclamée hier à Paris. Pour reprendre l'homme de lettres israélien d'origine arabe Emile Habibi, c'est un Abdelaziz Bouteflika «peptimiste» ou «optissimiste» qui apparaît au fil des réponses au questionnaire de l'agence. A la lecture, on comprend mieux pourquoi il a fait le déplacement dans la capitale française. Certes, en la circonstance, Paris ne valait pas une messe. Mais Abdelaziz Bouteflika, qui doit avoir lu Blaise Pascal, semblait se dire «après tout, pourquoi pas ?», «on verra bien», en bon adepte de l'adage français qui recommande de ne pas jeter le bébé avec l'eau du bain. Finalement, le «bébé UPM», est un produit du Processus de Barcelone dont «il renforce la co-appropriation par les pays du Nord et ceux du Sud» tout en en «améliorant les procédures, l'efficacité et la visibilité». La valeur ajoutée est donc représentée par la réalisation de projets concrets. Le questionnement, voire le doute, commence lorsqu'il s'agit du financement de ces «projets concrets». En effet, «la problématique de la disponibilité des ressources financières pour nourrir le Partenariat euro-méditerranéen n'est pas encore définitivement élucidée». Il ne pouvait en être autrement dans la mesure où «ayant bouclé ses équilibres financiers jusqu'en 2013, l'Union européenne ne prévoit pas, à court terme, d'engagements financiers importants». Le président Abdelaziz Bouteflika relève alors que «cette attitude n'est pas sans susciter des interrogations légitimes sur la volonté réelle de l'UE de contribuer de manière décisive à la mise à niveau des pays de la rive sud de la Méditerranée». Le doute à ce propos est d'autant plus permis qu'il «est seulement prévu que des ressources devront être mobilisées par les pays concernés par les projets, y compris à travers le recours aux marchés des capitaux». Le chef de l'Etat semble d'autant mieux fondé à le penser qu'il a déjà fait savoir au chef de l'Etat et au Premier ministre français qu'il était difficile d'envisager un recours au matelas de devises algériennes en dehors d'un effort financier collectivement et équitablement partagé. On comprend aussi que le chef de l'Etat algérien a, d'autre part, une autre crainte, celle de voir la future UPM se transformer en un meccano lourd, difficile à manœuvrer, ou carrément en une usine à gaz. Avec ses propres mots, Abdelaziz Bouteflika se demande «comment en effet, réunir quarante-quatre volontés partagées autour de la réalisation d'un projet concret». Et de préconiser des coopérations renforcées, à l'image de l'UE. Pour lui, «l'entreprise paraît difficile sauf à encourager et multiplier les projets sous-régionaux, ceux qui ont vocation à rassembler un nombre restreint de pays fermement décidés à aller plus vite et plus loin». C'est là donc «tout l'intérêt des projets dits ‘‘à géométrie variable'', des projets qui seront le fruit d'une volonté partagée entre quelques-uns, engagements et risques compris, et qui s'inscrivent tous dans la réalisation du Processus de Barcelone». Le chef de l'Etat en est convaincu, qui pense que «c'est là, le moyen le plus souple et le plus pratique, pour donner un contenu concret à cette Union pour la Méditerranée qui mérite qu'une vision commune puisse, au cours des prochains mois, gagner en lisibilité et en cohérence globale, pour la rendre réellement porteuse d'ambitions légitimes». Le président de la République a par ailleurs déploré la faiblesse des Investissements directs étrangers (IDE) en constatant notamment que «deux pour cent des investissements européens sont dirigés vers notre région, alors que, dans le même temps, dix pour cent des investissements américains sont engagés en Amérique latine, et que le Japon consacre vingt pour cent des siens à l'Asie». De son point de vue, le développement durable, c'est «une croissance saine, soutenue par des investissements massifs et productifs, et s'accompagnant d'un transfert de technologie». Face aux pays de la rive nord de la Méditerranée et à ceux du nord de l'Europe, qui voient poindre du flanc sud de la Méditerranée des menaces protéiformes, le chef de l'Etat algérien affirme que ce type de développement durable «est le meilleur des remparts contre la pauvreté, l'instabilité et l'extrémisme, autrement plus efficace que le renforcement des frontières et leur étanchéité». La libre circulation des personnes est consubstantielle au concept concret de développement durable. «De la même manière que l'UE a constitué le socle de son intégration sur une union sans cesse plus étroite entre les peuples […], nous pourrions imaginer que le partenariat euro-méditerranéen prenne en considération les intérêts des personnes, sans pour autant négliger les aspects commerciaux et économiques», a souligné le président Bouteflika. Et d'ajouter : «L'immigration clandestine est un fléau qui signale l'impuissance et la colère face aux murs qui s'érigent comme dans les prisons ou des ghettos […] Réfléchissons ensemble à la manière dont nous pourrions libérer cet espace que les marchandises parviennent à sillonner, tandis que les hommes restent à quai.» S'agissant des énergies fossiles, le chef de l'Etat, bien dans son rôle, rappelle que l'Algérie contribue concrètement à la sécurisation énergétique de l'UE «en lançant en direction de l'Europe de grands projets structurants, participant ainsi à l'émergence d'un marché euro-méditerranéen fondé, bien entendu, sur la sécurité de l'approvisionnement mais aussi sur la sécurité de la demande». Afin de dépasser le stade d'une «relation purement commerciale», le président suggère la mise en place d'accords-cadres devant favoriser une coopération dans le domaine des «énergies nouvelles et renouvelables, notamment l'énergie solaire qui se présente comme une alternative intéressante, en raison des progrès enregistrés dans la production de l'électricité solaire». A ce sujet, le chef de l'Etat s'est logiquement réjoui qu'un «plan solaire méditerranéen figure en bonne place sur la liste des tout premiers projets de l'Union pour la Méditerranée». N. K.