De notre envoyée spéciale à Tamanrasset Mekioussa Chekir L'exploration des sources, des symboles et de l'étendue de la civilisation amazighe continue d'être au cœur du cycle des conférences programmé à l'occasion de la deuxième édition du Festival culturel national de la musique et de la chanson amazighes qu'abrite depuis le 19 décembre dernier la capitale de l'Ahaggar, Tamanrasset. Hier, ce fut au tour de l'universitaire Ammour Bouzid d'explorer le sujet à travers une conférence intitulée «la chanson amazighe, mémoire et perspectives». Tout en regrettant que nous, Algériens, ne fassions pas suffisamment parler notre histoire, l'intervenant rappelle que celle de beaucoup d'autres pays est bâtie sur de simples légendes, citant l'exemple du Danemark. Selon lui, la chanson et la musique sont nées avec l'apparition de l'humanité, dès lors que les instruments créés et les sons inventés tout au long des siècles se sont inspirés de ce dont est pourvu le corps humain lui-même, à savoir les cordes vocales, les sens… «Ce n'est pas par hasard que les historiens de l'art et de la beauté ont classé la chanson en première position, car le rythme émane avant tout du cœur de l'homme», explique le conférencier avant de rappeler l'apport d'autres civilisations à la culture amazighe et inversement. Ainsi, note-t-il, les Amazighs se sont mélangés aux pharaons il y a plus de 3 000 ans avant J.-C., comme le renseignent, entre autres, les cavaliers amazighs qui conduisaient les antiques chars guerriers. Ces derniers sont montrés, dans les multiples représentations retrouvées plus tard, drapés dans les légendaires burnous, propres à la civilisation amazighe. Ces burnous continuent d'exister de nos jours sous différents aspects en Algérie. Il est aujourd'hui établi, rappelle-t-il encore, que l'intronisation du Berbère Chachnak en Egypte pharaonienne, en l'an 950 av J.-C., a marqué le début du 12ème calendrier amazigh et la célébration du jour du mois de janvier (Yennayer). Il a également été établi que les Amazighs ou Imazighen ont fusionné avec les Phéniciens pendant le deuxième millénaire avant J.-C., puis ont contribué au développement de la civilisation carthaginoise durant laquelle le parti politique de Massinissa avait siégé au Parlement. Or, déplore l'universitaire, la majorité des ouvrages attribuent cette civilisation aux seuls Carthaginois alors que d'autres faits prouvent qu'Hannibal a été soutenu par les Imazighen. Tout en soulignant l'étendue de la culture de ce peuple de l'Egypte ancienne aux îles Canaries en Europe, le Dr Bouzid rappelle le contexte dans lequel est né le séculaire rite de la Sebiba qui, à l'origine, avait fêté la victoire de Moïse sur Pharaon il y a plus de 3 000 ans, comme l'illustrent les gravures rupestres du Tassili N'Ajjer. Depuis, la Sebiba est chantée et dansée dix jours durant tous les jours d'Achoura. «Si l'on considère que tous les chants collectifs sont historiquement précédés par des chants individuels, cela nous amène à affirmer que la chanson amazighe remonte à beaucoup plus loin», observe le chercheur qui rappelle qu'Hérodote, l'historien grec, avait attesté la beauté et l'élévation du patrimoine oral targui au 5ème siècle avant J.-C. «Ce qui prouve encore une fois que les Imazighen n'étaient pas un peuple replié sur lui-même, n'en déplaise aux nombreuses falsifications de l'histoire qui veulent naniser la grandeur de ce peuple.» Et d'ajouter que c'est ce même peuple qui a été à l'origine de la civilisation numidienne, de l'essor de l'Andalousie en Espagne et qui a contribué plus tard à l'édification du Caire et du prestigieux El Azhar. C'est également ce peuple qui a vu naître l'inventeur de l'aviation Abbas Ibnou Farnass El Takrini de la tribu des Takerna. «C'est tout ce que l'on sait de cet homme alors qu'il a été un grand génie de la musique», remarque encore le conférencier. L'universitaire ajoute que les Imazighen se sont, par ailleurs, distingués par une connaissance pointue de l'art architectural au point de rivaliser avec les Yéménites, notoirement connus dans ce registre. Cette réalité est attestée par le patrimoine érigé tout au long de ces siècles et que l'on retrouve aujourd'hui encore comme un témoin de leur influence. «Nous pouvons citer le ksar de la Kahina à Batna qui porte le nom de cette reine mais qui a existé avec elle. Il a été construit sur plusieurs étages sans le moindre pilier et à base de pierres seulement, ce qui dénote un génie certain en la matière». D'autres sites funéraires existent comme ceux de Madghassen (Batna) ou de Tin Hinan à Tamanrasset. Autant d'exemples qui ne représentent en fait que des bribes de la riche et antique civilisation amazighe et que les animateurs de ces conférences tentent de déterrer tout au long de ce festival dédié à l'un de ces pans, le chant et la musique.