De notre envoyée spéciale à Tamanrasset Mekioussa Chekir Au-delà de l'aspect compétitif et festif, la seconde édition du Festival de la chanson et de la musique amazighes est riche en conférences thématiques liées à l'événement, dont l'aspect scientifique s'en trouve, du coup, rehaussé. Ce cycle de conférences a été entamé hier par une intervention didactique du Dr Abdennabi Zendari, sociologue, sur le «rôle de la femme targuie dans la préservation du patrimoine immatériel». Estimant que la démarche de certains anthropologues qui détachent le rôle de la femme targuie de son environnement social immédiat est erronée, le conférencier a mis en avant le caractère matriarcal de ce type de société. «Dès qu'il s'agit de parler des liens sanguins, on rapporte la chose à la mère ; le père n'est évoqué que lorsqu'on cite le nom de famille de la personne.» Et de rappeler que c'est à la femme qu'incombent la responsabilité et l'héritage de transmettre aux enfants la langue targuie et l'apprentissage de la lecture du tifinagh, le père se chargeant d'autres missions, comme celle d'inculquer à sa progéniture les arts de la cavalerie. Pour le Dr Zendari, les arts ont avant tout une vocation sociale chez les Touareg, en ce sens qu'ils contribuent à rehausser la prestance de ce peuple à travers les chants et autres musiques qui le vantent, qu'ils permettent de préparer les guerres, qu'ils chantent les joies… «Il y a comme un dialogue entre l'instrument et celui qui le joue», explique-t-il, citant à ce propos l'exemple de l'imzad, exclusivement fabriqué et joué par les femmes targuies. Il citera aussi la poésie, appelée à Tamanrasset «italwiyen», qui chante les rites des noces, lesquels, contrairement à d'autres régions du pays, consacrent l'homme, en ce sens que c'est lui qui attend que la femme effectue la «dekhla» et non l'inverse. Pour l'intervenant, c'est la femme targuie qui donne généralement un sens aux symboles de la société et contribue à les perpétuer. Cela étant, regrette-t-il, le rôle de la femme dans la préservation de tout ce qui se rapporte à la culture matérielle et immatérielle de la société targuie a quelque peu perdu de son poids ces derniers temps. Cela, explique-t-il, est dû à la peur qu'exerce «l'autre» ou «l'inconnu», la société targuie étant de plus en plus ouverte aux brassages ethniques en raison de la position géographique, sociale et économique de la capitale de l'Ahaggar. Ces brassages ont, à leur tour, conduit à l'introduction de fléaux sociaux ayant réduit certaines libertés d'action, de mouvement et de pensée de la femme targuie au sein de sa société. Pour lui, cela s'est produit, mais dans une moindre mesure, y compris à l'intérieur de la cellule familiale représentée par la «kheima», lieu traditionnel par excellence de la vie familiale et sociale des Touareg. Fait notable à signaler au cours de cette matinée d'hier, le débat qui s'est engagé à la suite de cette intervention entre les participants et qui en dit long sur la problématique, non encore résolue, de la transcription, de l'apprentissage et de la pratique des langues amazighes. Certains ont demandé que les interventions en targui soient traduites en arabe, au moment où d'autres trouvent scandaleux que toute l'assistance ne comprenne pas cette langue, en partie objet de la rencontre. Présente à la rencontre pour déclamer des poèmes en kabyle, dont un hommage vibrant à feu Mouloud Mammeri, la poétesse et actrice Hadjira Oubachi a estimé encore plus répréhensible le fait qu'aucune affiche annonciatrice du festival n'ait été écrite en tifinagh. «Ne serait-ce que pour l'esthétique», ironisera-t-elle.