Le feuilleton des familles expulsées se poursuit de plus belle. En effet, il ne se passe pas un jour sans que la longue liste des victimes s'allonge, plongeant des pans entiers de la société dans le désarroi et la peur de lendemains incertains. A Bouzaréah, sur les hauteurs d'Alger, 6 familles (comptant quelque 40 membres) viennent d'être expulsées des logements qu'elles occupaient depuis l'année 1963 en dépit du fait qu'elles s'acquittaient du loyer de manière régulière. L'immeuble en question, qui fut la propriété d'un Français (décédé en l'an 2002) a été vendu, en 1994, par celui-ci à un Algérien et ce, sans que les locataires en soient informés. En 2007, ces derniers furent surpris par une décision de justice les sommant d'évacuer les lieux, qui leur fut transmise par le nouveau propriétaire de l'immeuble. Le 8 novembre 2008, la section immobilière du tribunal de Bir Mourad Raïs a prononcé un jugement en vertu duquel l'expulsion devenait effective. Au mois de mai 2009, une décision émanant de la chambre immobilière de la cour d'Alger est venue appuyer le verdict du tribunal de Bir Mourad Raïs. «Nos nombreuses tentatives visant à différer l'application de cette décision sont restées vaines. Nous avons sollicité de nombreuses parties influentes pour leur dire que mettre à la rue de nombreux enfants et personnes âgées, de surcroît en période hivernale, était inhumain. Nos sollicitations sont malheureusement restées vaines», nous dira Taane Bachir (le chef de l'une des familles expulsées), lors de notre visite aux 3 familles concernées. Son cousin, son aîné de 4 ans (il a 78 ans), au passé de moudjahid, insistera sur le fait que la personne qui les a expulsés de leurs logements ne serait pas arrivée à ses fins sans le trafic de documents et la complicité de personnes à différents niveaux de l'administration. «L'Etat français n'aurait jamais fait cela avec ses administrés, alors, pourquoi le notre se comporte-t-il de la sorte avec nous ?», se demandera-t-il la gorge nouée. Pour l'heure, les familles expulsées se voient contraintes de vivre avec leur progéniture sous des tentes (dans un ravin) qui leur ont été offertes par l'APC. «On a tout fait pour nous éloigner des regards indiscrets. C'est la troisième fois qu'on nous change d'endroit. Ici, le danger nous guette en permanence. Les dernières pluies ont failli nous emporter. Nos enfants sont malades et éprouvent d'énormes difficultés à se rendre à l'école. Nous nous demandons vraiment quand prendra fin notre calvaire», nous dira une dame âgée. En guise d'exemple, elle nous parlera du jeune Abdeljalil, 19 ans, qui doit passer son baccalauréat cette année. «Il ne peut plus étudier en dépit du fait qu'il soit intelligent. Cette situation l'a complètement désorienté», ajoutera notre interlocutrice. Un simple regard renseigne sur l'état lamentable dans lequel vivent ces personnes. Le minimum vital est absent. Les odeurs nauséabondes sont légion. Même l'eau manque. «N'était une citerne que nous avons ramenée avec nous, nous serions morts de soif. Par ces temps où la grippe porcine fait des ravages, qui se soucie de notre sort ? », fulminera une jeune dame, ajoutant que l'isolement de l'endroit fait que si jamais une personne tombait subitement malade la nuit, ce serait la catastrophe. A la lumière de tout ce qui nous a été dit, il s'avère que même la Ligue algérienne des droits de l'Homme a été saisie «mais aucun de ses membres n'a daigné se déplacer pour voir les conditions lamentables dans lesquelles nous nous trouvons», nous a-t-on certifié. Selon nos interlocuteurs, l'endroit où elles vivaient a été vendu le 28 décembre dernier. «Nous n'aurions jamais dû quitter ce logement. Le fait que nos ex-voisins aient saccagé la maison, objet du litige, est révélateur à plus d'un titre. Par cet acte, ils ont voulu dénoncer les pratiques du nouveau propriétaire et lui dire que la maison qu'il habitait nous revenait de droit», nous diront en chœur les expulsés. Il est malheureux que de tels drames continuent à se produire sans que personne ne semble en mesure d'y mettre le holà. Les plus chanceux d'entre ces expulsés sont recueillis par des proches ou des amis. Mais dans l'écrasante majorité des cas, c'est la rue qui constitue leur dernier refuge. Outre le préjudice moral causé à ces victimes, cette situation renseigne indéniablement de la déliquescence et la dislocation que connaissent les relations familiales (dans une société en pleine mutation), les expulsés se trouvant livrés à eux-mêmes. Mais là, c'est une tout autre paire de manches. B. L.