Photo : A.Lemili De notre correspondant à Constantine A. Lemili La culture vit-elle des entraves ? Sans vouloir faire dans le procès d'intention, la réponse est affirmative, sinon comment expliquer l'état dans lequel se trouve l'ensemble des activités du secteur relevant du ministère de la Culture : théâtres inactifs (stérilité et indigence de l'écriture) ne fonctionnant que lors de manifestations officielles, salles de cinéma fermées dans leur majorité à travers le territoire national et, si tant qu'il en existe certaines ouvertes, celles-ci végètent en l'absence de films, maisons et autres palais de la culture capables de confiner dans la déprime la plus totale quiconque en franchirait l'huis. Entravée ? Oui, il suffirait, par exemple, pour le ministère de la Culture et ses directions centrales de fournir de plausibles explications au fait qu'un film est en souffrance au niveau des services douaniers de l'aéroport Houari Boumediene depuis le 10 novembre 2009 et, pis encore, ce film pourrait être vendu aux enchères parce que la société de distribution qui l'a importé ne l'a pas retiré, en réalité n'est pas parvenue à le retirer malgré toutes ses démarches. Il a été vendu aux enchères parce que la réglementation en vigueur considérant que, passé 60 jours, une marchandise non réclamée n'appartient plus à son propriétaire. Ce qui est somme toute logique.Or, ce n'est pas faute de bonne volonté, et encore moins par une attitude masochiste consistant à jeter son argent par les fenêtres, que le gérant de ladite société de distribution voit son investissement lui filer entre les doigts.Non, la réponse est ailleurs et, rarement bureaucratie, et plus particulièrement à un niveau où elle est censée être la plus combattue, n'aura fait autant de ravages. Aujourd'hui, comme depuis toujours et dans tous les pays du monde, pour sortir sur les écrans un film, il est nécessaire de disposer d'un visa d'exploitation. Normal…Jusqu'à la fin de l'année 2008, il suffisait d'adresser à la direction concernée du ministère de la Culture une correspondance où seraient consignées quelques anodines indications, à savoir le titre du film, l'année de réalisation, le pays d'origine, le nom du réalisateur et de quelques acteurs, pour obtenir un visa d'exploitation. L'assurance de l'administration était telle que le synopsis qui renseigne sur le contenu du produit n'était même pas demandé. Une confiance mutuelle dans laquelle il était impossible de soupçonner, et encore moins d'imaginer un seul instant qu'un importateur puisse avoir l'idée ou l'intention d'importer un film qui attenterait aux valeurs morales nationales, à la souveraineté du pays, etc.Or, depuis un peu plus d'une année, cette procédure est devenue un véritable parcours du combattant. Pis, il n'en existe pas de plus irrationnelle qui découragerait un distributeur d'investir son argent pour lancer sur les écrans algériens un film neuf à moins de laisser le temps aux cinéphiles impatients de voir par anticipation un produit piraté sur DVD officiellement vendu dans tous les magasins spécialisés du pays, avec une exclusivité pour la capitale. L'Office national des droits d'auteur (ONDA) a toujours regardé de l'autre côté dès qu'il s'agissait de réprimer l'atteinte aux droits des auteurs. L'essentiel pour «l'honorable» institution à la pompeuse enseigne de ponctionner une «dîme» sur tous les produits artistiques et culturels commercialisés sur le marché. Même celui de l'informel. Pour en revenir au fameux visa et à la gymnastique à laquelle il faut s'adapter pour sortir un film : avant de délivrer le document, les services du ministère exigent de visionner le film. Normal également. Sauf que, pour visionner le film, il faudrait, d'abord, le retirer des magasins des Douanes. Or, pour ce faire, les douaniers exigent à leur tour et légitimement le fameux visa d'exploitation qui doit être délivré par le ministère de la Culture qui, pour ce faire, demande à voir le film… On peut continuer ainsi ad vitam aeternam. C'est l'exemple parfait du cercle vicieux. C'est une parfaite allégorie du serpent qui se mord la queue. Et l'essentiel dans tout cela ? Very Bad Trip est un film sorti, en 2009, à l'étranger. Parce qu'elle détient l'exclusivité de son exploitation en Algérie, la société qui l'a importé et qui a posé le problème à qui de droit selon le cheminement nous avons évoqué pour le retrait des bobines a été mis en obligation de fournir une copie pour son visionnage. Ce qui est impossible et nous n'insisterons jamais assez sur la raison : le visa d'exploitation à fournir aux douaniers pour l'opération de retrait.Mais au ministère de la Culture, comme l'administration ne fait pas que créer des difficultés à ceux qui persistent à vouloir croire en la culture au pays, des responsables préconisent une solution : fournir une copie sur DVD et le problème est, enfin, réglé. Oui mais… le DVD en question est piraté et le distributeur ne va pas se faire violence, voire hara-kiri en achetant une copie piratée de son film alors qu'il dispose de l'exclusivité. «Ce serait contraire à mon principe, aux clauses contractuelles que j'ai avec la Warner Bros et, enfin, contre tout entendement. Un monde kafkaïen à côté, c'est pratiquement Disneyland», dira le responsable de la société de distribution. Quoique coincé entre un film qu'il a payé en euros et en souffrance chez les douaniers, il est quand même parvenu, contre sa volonté par ailleurs, à partager la poire en deux, autrement dit attendre la sortie officielle du film sur support DVD, en Europe, pour acquérir à Paris une copie… une vraie, pour la remettre aux services du ministère de la Culture qui, enfin, l'auraient, semblerait-il, visionnée pour lui délivrer il y a à peine une dizaine de jours le visa d'exploitation. Ouf ! Comme un malheur ne vient jamais seul, la société de transit, sans qu'elle ait besoin de faire la démarche et par expérience, a vite fait d'avertir son client qu'il était impossible de retirer le film, que celui-ci, pour non-retrait et réclamation, allait être soumis à la vente aux enchères. Dans toute cette bouillabaisse, il y a quand même une consolation pour le distributeur : il a 99% de chances de récupérer son film en… l'achetant. Parce qu'on voit mal quelqu'un d'autre acheter cher un film, d'abord sur un support 35 mm, donc impossible à regarder, et, ensuite, que tout le monde a vu depuis le début de l'été dernier pour 200 dinars en achetant le DVD et 15 en location. Alors, la culture encouragée en Algérie ? Il faudrait veiller à ne pas répéter cela sérieusement devant nos voisins tunisiens et marocains, ils en riraient à s'en éclater la rate.