Depuis la puissante contestation, créative, inaugurée par l'apparition du raï et son rayonnement national et international, le champ culturel dans les dix dernières années baigne tranquillement dans l'officiel, l'institutionnel et les fêtes de douar qui se suivent et se ressemblent. Le raï longtemps interdit dans les médias publics, confiné dans les entrailles plus ou moins «honteuses» mais cependant populaires de la société, s'est finalement imposé là où il y a le peuple. Mariages, circoncisions, fiançailles, tout ce qui rassemble se fait avec cette musique désormais planétaire. Pour ce faire, il a fallu un musicien, une voix d'or et un manager-responsable qui n'ont pas craint de casser du tabou, d'être à l'écoute de la jeunesse avec du talent pour chacun dans sa partition. Hocine Snoussi, alors directeur général de Riadh El Feth, cheb Khaled et le charismatique compositeur Safy Boutella avaient signé avec un disque la victoire, toute pacifique en musique, du bas sur le haut commissariat politique de la pensée unique. Et c'était avant la Constitution de 1989, matrice d'un processus démocratique vite annulé, remise pour cause de «transition». Commencée dans les quartiers populaires de l'Ouest algérien, la contestation de l'ordre culturel établi par le parti unique qui n'avait, à l'image de son modèle soviétique, ni de grands théoriciens de «la culture du prolétariat» ni des géants comme Maïakovski, Dziga Vertov ou Pasternak. Il avait l'article 120 et des commissaires par wilaya dont certains, accompagnés par des walis audacieux, avaient quand même largement aidé à la création de grands festivals internationaux du film à Constantine et Annaba. Sous le parti unique ! Aujourd'hui, les partis dits majoritaires au gouvernement, dans les APC et le Parlement n'ont pas la moindre petite idée ni la plus minuscule initiative aux plans théorique, intellectuel tournées vers l'avenir pour ce qui est de la culture, ses industries, sa formation, son management et ses espaces au plan économique. Se reposant sur le seul ministère de la Culture et les «festivités» culturelles de temps en temps organisées par les mairies qui ont des salles et des moyens et sur la subvention du wali «tuteur» adoubé dans sa région, les gouvernants, eux, s'occupent de «choses sérieuses», «politiques» sans oublier de prendre l'air grave, «habités» qu'ils sont par les programmes lourds qui ont la caractéristique de charrier scandales et corruption. Les nourritures de l'esprit, les vacances pour le plus grand nombre et les loisirs au quotidien et partout ne pèsent rien devant les importations pour les ripailles ramadhanesques et les coûts des trottoirs qu'on évite soigneusement de bitumer au profit du carrelage le plus vilain et le plus fragile possible. Les rapports faussés, lorsqu'ils existent, entre la culture et ses productions dans tous les arts, tous les supports, sont fortement remis en cause par des pratiques qui occupent les espaces vacants pour la culture et l'apaisement. Les grèves et leurs répressions, les émeutes et leurs répressions, les revendications et les mépris qui leur sont retournés voient leurs impacts démultipliés par leur occultation par les médias lourds et celle de leurs animateurs par les pouvoirs publics. Ces derniers aident l'incivisme, la violence verbale et les rumeurs qui créent une «culture courte». De fait, les rapports sociaux deviennent pauvres en plus-value fédératrice par le débat, le forum et la libre expression. Les rapports sociaux et ceux entre gouvernants et gouvernés sont privés d'une dimension culturelle civilisée, symbolique. On ne se parle pas, on ne s'écoute pas. On s'épie, on se surveille, on se méfie du «bas» et du «haut» pour mieux entretenir et reproduire les petites et grandes crises. Ce sont les résultats du vide culturel, trop rempli par ailleurs. A. B.