De notre correspondant à Constantine Nasser Hannachi Les fellahs de la wilaya de Constantine demeurent assez réticents à cause du flou total entourant l'avant-projet de loi portant réorganisation des EAC et des EAI et appréhendent la nouvelle organisation. Nouvelle cession ou récupération puis réattribution des terres ? En fait, le manque de précisions et d'informations a causé des perturbations au point que les adhérents de la Chambre d''agriculture ont procédé massivement au renouvellement de leurs cartes d'artisans de peur qu'un document manquant ne leur joue un mauvais tour avec l'entrée en vigueur de ce texte. «Franchement, nous n'avons rien compris à cette nouvelle mesure qui s'abat sur nous, alors que nous cultivons nos terres depuis des décennies. Avec les rumeurs qui circulent et qui jettent la suspicion sur les critères d'acquisition ou de transmissibilité des terres, les agriculteurs craignent pour leur avenir», nous dira M. Amar, un agriculteur affilié à l'Union nationale des paysans algériens. Du côté de la Chambre de l'agriculture de la wilaya, les tentatives d'apaisement sont de rigueur. Mais il y a de la satisfaction dans l'air. Ainsi, les bribes d'informations que nous avons recueillies auprès des acteurs de la CAC prêtent plutôt à l'optimisme concernant l'entrée en vigueur ce nouveau projet. «La gestion des terres sera plus efficiente. Actuellement, il y a des aires qui ne sont pas exploitées pour diverses raisons, dont des litiges et des conflits internes», explique un responsable dans la CAC. Et de renchérir : «Cet avant-projet qui abolirait la loi 87/19 viendrait valoriser et réguler les terres agricoles restées parfois sous l'emprise des gens qui exploitent des attributaires.» En clair, selon des intervenants que l'on a approchés, «c'est une réorganisation du secteur agricole dans la perspective d'un renforcement de la sécurité alimentaire». Pour le moment, en attendant la promulgation de la loi, les interprétations au sein du monde agricole local divergent, notamment concernant la cession renouvelable au bout de quarante ans. Un exploitant à Aïn Abid, ingénieur agronome de son état, dira que «c'est le flou, voire le doute qui plane sur ce nouveau projet. La durée de 40 ans reste vraiment insuffisante. Qui nous garantira qu'au-delà de cette étendue une autre loi ne viendrait tout remettre en cause… Pour l'heure, la concession est mal comprise par les fellahs». «Il ne sera plus permis de ‘‘séquestrer'' des terres sans les fructifier.» Côté chiffres, il est utile de souligner que Constantine renferme 34 195 hectares de terres attribuées aux EAC et 20 000 autres aux EAI, exploités respectivement par 2 000 et 1 100 agriculteurs. Toutefois, rares sont les acteurs qui s'acquittent des droits de jouissance. Mais avec cette loi «il ne sera plus permis de ‘‘séquestrer'' des terres sans les fructifier. On vise une viabilité économique de l'agriculture», analyse un cadre affilié à la chambre agricole ajoutant que «le texte veut conforter les EAC pour les rendre fiables sur le plan économique» et de poursuivre : «Cela permettra d'ouvrir beaucoup d'opportunités d'exploitation. Les EAC ne seront plus otages des banques pour espérer des crédits. Elles bénéficieront désormais d'un acte juridique qui suppléera les classiques administratifs. De plus, la création de l'office national des terres agricoles sera un atout supplémentaire pour fluidifier la gestion de ces domaines privés de l'Etat et plus tard du public.» Lui emboîtant le pas, un agriculteur attributaire voit en ce projet un coup de pied dans la fourmilière des surfaces agricoles qui sont sous le diktat des «pseudo exploitants». «Personnellement, j'adhère à ce projet et rejette qu'une quelconque partie se prononce au nom de tous les fellahs sans concertation à la base…» Sans aucun doute, il fait allusion aux récentes déclarations de l'Union nationale des paysans libres (UNPL). Pour tempérer, l'agriculteur plaide pour une vulgarisation par les différentes chambres de commerce auxquelles incombe cette tâche. Ainsi, il faudra s'attendre à des campagnes de sensibilisation afin d'expliquer à tous les agriculteurs les portées et les visées de cet avant-projet, et surtout les persuader de son importance. «Une première lecture par les professionnels du secteur est indispensable. La loi interpelle en premier lieu la CAC», soutient à ce sujet un adhérent.