Photo : Riad Par Abdou B. Tous les travailleurs de la culture, quels que soient leur génération, leur pratique, leur talent et le niveau de leur notoriété nationale et internationale, tous aspirent, en Algérie, à voir l'Etat se manifester. Les interventions étatiques sont parfaitement légitimes, c'est-à-dire qui relèvent «des responsabilités historiques, constitutives des Etats (diplomatie, armée, police, justice, monnaie, impôts)». Ces missions ont été depuis longtemps élargies, dans le champ culturel, à des domaines et secteurs qui ne sont pas régaliens au sens traditionnel du terme, mais qui sont exclusivement de la responsabilité de l'Etat. Le patrimoine archéologique, les vestiges de civilisations anciennes, l'héritage architectural du colonialisme (constructions, églises, cathédrales, demeures ou palais coloniaux), les musées nationaux, la formation (des baccalauréats artistiques deviennent des espaces régaliens).Après la dissolution des entreprises publiques (cinéma-audiovisuel), où tout le monde était salarié avec la protection sociale, les congés payés, il a été extrêmement difficile pour tous d'admettre le passage au statut de créateur, de techniciens de «capteur» de lumière qui remplace celui de fonctionnaire. Il existe dans l'histoire du cinéma algérien des cas de réalisateur diplômé ou de technicien qui, sur des décennies, n'ont pas réalisé plus d'un ou de deux petits documentaires passés inaperçus en leur temps. Par une série de dérives et devant l'aphasie des pouvoirs publics qui n'ont ni préparé ni accompagné les changements inévitables, des illusions ont été longtemps entretenues à ce jour autour du statut de l'écrivain, de l'artiste. Des associations ex nihilo, des «unions», dans la pure et pire tradition du parti unique continuent à survivre, sourdes aux mutations algériennes et à celles du monde. Pour celui qui se souvient des pères fondateurs de l'Union des écrivains algériens comparée avec celle qui surnage aujourd'hui, la régression est terrible. Qui peut aligner les titres écrits par ceux qui dirigent l'organisation en question ? Comment, où, quand ont été élus ses dirigeants adoubés par la seule administration ? Est-ce que Yasmina Khadra, Boudjedra, Bourboune, Tahar Ouettar, Anis Djaad, Mokkadem et tant d'autres y adhèrent ? Terrible responsabilité et mauvaise conscience au bout du chemin ! Parmi ses devoirs, un Etat ne reconnaît que ce qui est légitime, ce qui est légal, et en matière d'art et de culture que celles et ceux qui ont la reconnaissance, le respect et l'admiration de leurs pairs. Sinon, c'est l'anomie, le sous-développement managé et encouragé pour aligner un triste «bilan d'activités», toujours les mêmes, avec les mêmes pour la seule admonestation toujours éphémère alors que l'œuvre d'art est immortelle, les véritables artistes aussi. L'Etat, sauf aux Etats-Unis, a des institutions culturelles qui portent, abritent et diffusent une ambition et un projet nationaux, sous les sceaux de l'impertinence, de l'insolence, avec des saltimbanques, des charbonniers qui caricaturent les gouvernants et les puissants. Fellag exerce sa verve ailleurs, tout comme Idir, grand poète voyageur. Dans quelle pièce montée en Algérie a-t-on vu le talent de Miloud Khatib ou de Aggoumi depuis que les prédateurs ont pris les armes contre la pensée ? L'Etat et ses institutions, mais lesquelles ? dirait l'optimiste lucide. Mais où sont-elles ? dirait le pessimiste lucide. Enfin, quelques rares derniers Mohicans continuent, vaille que vaille, plutôt pas vaille que vaille, à porter des petites de la culture algérienne, du talent algérien, en France, au Canada, en Europe où tout est intégré, «nationalisé». Alors faut-il choisir entre une pseudo-association, un faux syndicat, un chanteur de cour, un truc «institutionnalisé» par le Journal officiel, ou la vraie création ? Entre les deux tendances, l'Algérie officielle a choisi son camp. Elle a choisi le toc contre le top.