Décidément, la loi française sur l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français n'est qu'un énième mensonge politique français. C'est en tout cas ce que maître Benbraham, avocate au barreau d'Alger et porte-parole de l'instance pour la décolonisation de l'histoire algéro-française, ainsi que Amar Mansouri, chercheur en physique nucléaire, ont relevé hier lors d'une conférence de presse animée au forum d'El Moudjahid. Les deux interlocuteurs, bien au fait de ce dossier, n'ont pas manqué de souligner d'emblée que les Algériens «ne sont aucunement concernés par les dispositions de cette loi». Et pour cause, ce texte de loi, daté du 6 janvier 2010, ne parle nullement de l'Algérie en tant qu'Etat. Il évoque uniquement le centre d'expérimentation des Oasis et les territoires sahariens mais à aucun moment on ne fait référence aux Algériens, alors que de très nombreux essais ont été effectués au moment où l'Algérie était un Etat indépendant. Nos deux interlocuteurs qui s'appuient également sur les observations de nombreux juristes français ont fait savoir dans ce sillage qu'à aucun moment «le mot Algérie n'est cité dans le texte de loi». Pis, dans l'article 3 de ce texte de loi, il n'est fait mention que des appelés des contingents, les militaires de carrière et les civils présents sur les sites d'expérimentation. Et c'est là que le bât blesse car, dans un alinéa de cet article, le site d'expérimentation est délimité géographiquement sur un rayon qui ne dépasse même pas les 100 km. Ainsi, partant de ce fait, nos deux interlocuteurs en ont déduit que la ville de Reggane et sa population ne peuvent même pas aspirer à ces indemnisations promises en grande pompe par Hervé Morin. De plus, dans l'article 2 de ce texte de loi, les «gens du Sahara», selon la terminologie du législateur français, à savoir les populations nomades, doivent démontrer qu'ils avaient bel et bien séjourné sur les sites d'expérimentation pour pouvoir bénéficier de ces indemnisations. Mais dans ce contexte, la très grande majorité des populations algériennes seraient exclues du système d'indemnisation, alors que, selon le principe même de la loi, elles devraient être concernées. Il faut dire que, si cette loi n'exclut pas explicitement les populations nomades de notre Sahara, dans la pratique, le fait qu'on cite le centre d'expérimentation et non pas les territoires qui l'entourent, notamment les Oasis et la population de Reggane, risquerait de conduire à exclure la quasi-totalité des Algériens de l'indemnisation. Sur un autre registre, Maître Benbraham Fatma-Zohra a signalé que la liste des maladies reconnues par cette loi ne correspond en rien aux souffrances que les populations algériennes ont eu à subir des années durant, et aujourd'hui encore, à cause des dégâts occasionnés par les essais nucléaires français. Dans ce sens, la loi ne parle nullement des cancers du sein et de l'utérus qui sont pourtant une conséquence directe des radiations nucléaires. Aujourd'hui à Adrar, ces cancers sont 7 fois plus répandus que dans les autres régions de notre pays. Par ailleurs, l'avocate a tenu à souligner que cette région était peuplée à l'époque par au moins 40 000 nomades. Elle n'était donc nullement déserte comme veulent le faire croire les quelques rapports militaires français. A ce propos, Maître Benbraham a dévoilé un rapport militaire français secret, un document de 260 pages, qui explique bel et bien que l'objectif de ces essais était d'abord de «vérifier la force de l'impact du pouvoir d'anéantissement des structures civiles et militaires d'un bombardement stratégique sur une cible précise». Ce qui amène à dire que les autorités militaires françaises ont cherché au préalable à tester leurs bombes sur des populations civiles. Ce qui constitue en soi un crime abominable contre l'humanité. D'ailleurs, des investigations récentes menées par des associations de victimes des essais nucléaires ont démontré que des militaires français ont identifié toutes les femmes et les enfants de la région de Reggane avant de procéder à leurs essais. Un tel crime ne peut, dès lors, rester éternellement impuni. Et à ce titre, nos deux interlocuteurs ont appelé à ester la France en justice. Il est question aussi de recenser sur les sites touchés toutes les traces des dégâts dont ont souffert les populations et l'environnement pour préparer un dossier d'expertise complet. Maître Benbraham suggère enfin de créer, en coopération avec d'autres pays africains qui ont souffert aussi du colonialisme, des tribunaux internationaux pour juger les crimes coloniaux. Mais pour cela, il faut que nos responsables politiques sortent de leur torpeur et donnent suite à ces revendications. Et à ce niveau, on ne sait toujours pas si ce combat interpelle réellement notre gouvernement. A. S.