Notre pays a rendez-vous aujourd'hui avec son histoire, écrite avec le sang d'un million et demi de chouhada et le sacrifice de millions d'Algériens –des femmes et des hommes qui avaient refusé de vivre sous la botte du colonisateur et qui avaient juré de le chasser, même au prix de leur vie. Le défi semblait pourtant démesuré et impossible à relever, tant le combat était inégal face à une puissance qui avait déployé tous les moyens pour mater un peuple insoumis. Ces femmes et ces hommes avaient troqué leur jeunesse contre la dignité, sans laquelle personne ne mérite de relever la tête. Et cela, ils ne l'acceptaient pas. Sans moyens, munis de leur seule détermination, ils avaient affronté une force militaire qui avaient sous-estimé leur capacité à la combattre. Aujourd'hui, près d'un demi-siècle après l'indépendance qu'ils ont très chèrement payée, ils assistent, impuissants, à la désillusion de la jeunesse et à la perte des valeurs. Celles-là même qui les avaient animés d'une volonté inébranlable et leur avaient donné la force de relever tous les défis. Ils voient, la mort dans l'âme, l'indifférence des jeunes qui ne se servent vraisemblablement pas de la lutte de leurs aînés comme d'un exemple à suivre, et même qui ignorent tout des sacrifices consentis pour l'indépendance de l'Algérie. Les libérateurs d'hier constatent douloureusement qu'il n'a jamais existé une passerelle entre les deux générations. Celle qui a vaincu un ennemi puissant et mis fin à 132 ans d'occupation et d'humiliations, et celle censée perpétuer le combat pour d'autres objectifs et afficher sa fierté d'appartenir à ce pays et à ce peuple. Ce n'est malheureusement pas le cas pour cette dernière, qui s'estime lésée et écartée de tout ce qui fait la vie de son pays et privée de ses ressources. Bien des questions se posent quant à l'étendue des désillusions. Qu'a-t-on fait à cette jeunesse pour qu'elle soit désabusée et pour qu'elle ne pense qu'à gagner d'autres rivages ? Celle-ci (la jeunesse) est passionnément éprise de son pays, c'est indéniable. Elle l'a à chaque fois prouvé. Mais elle affiche clairement le rejet de sa mise à l'écart et le signifie à sa manière. En fuyant le mépris, dans des barques de fortune chargées de leur rancœur. Quitte à laisser leur vie dans les eaux profondes de la mer. Le phénomène interpelle plus que jamais les pouvoirs publics, ceux-ci doivent redresser le tort et permettre aux jeunes de se réapproprier leur pays. La célébration jumelée de la fête de l'indépendance et de la fête de la jeunesse n'aurait pas de sens sans la sève de ce pays, sans un intérêt accru à ceux qui constituent sa force. C'est à ce prix que cette génération se réconciliera avec sa patrie, dont elle ne se sépare pas sans déchirement. R. M.