Son cœur a porté et supporté une cause plus immense que le temps, plus vaste que l'espace. Son cœur s'est arrêté pour la cause qui l'avait pétri 67 ans plus tôt, au cœur d'une Palestine sous mandat britannique, en Galilée où les oiseaux n'ont pu être domptés ni mis en cage par les assassins de la liberté, par les spoliateurs de sa terre natale, de ses souvenirs d'enfance, de ses rêves de poète. Mahmoud Darwich, le plus illustre des poètes du monde arabe, souffrant de maladie cardiaque, est décédé samedi dernier aux Etats-Unis dans un hôpital où il avait subi une intervention chirurgicale. Selon des proches du célèbre poète palestinien, ce dernier avait subi une opération à cœur ouvert mercredi dans ce même hôpital et se trouvait sous assistance respiratoire suite à des complications. Le poète avait déjà subi deux opérations du cœur en 1984 et 1998. Après sa seconde opération, il avait écrit un poème intitulé : Mort, je t'ai vaincue. En effet, les poètes ne meurent jamais encore moins Darwich qui s'était approprié le verbe comme arme pour vaincre la mort qui guettait son peuple, sa «patrie», son rêve, sa cause… Avec Darwich, la cause palestinienne est sortie du ghetto dans lequel Israël voulait l'enfermer. Pendant la guerre israélo-arabe de 1948, El-Birweh, en Galilée, village natal de Darwich, est rasé et ses habitants sont forcés à l'exil. La famille Darwich s'enfuit au Liban, où elle vécut un an, avant de rentrer clandestinement en Israël où elle s'installe dans la localité de Deir El-Assada, avec un statut précaire. Après ses études (en arabe et hébreu) dans des écoles arabes israéliennes, Darwich s'installe à Haïfa où vit une importante communauté arabe. Début des années 1970, il choisit l'exil. Il part pour Moscou étudier l'économie politique puis se rend au Caire en 1971. A Beyrouth, en 1973, il travaille comme rédacteur en chef au Centre de recherche palestinien de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) rejoignant l'organisation alors en guerre contre Israël. Après l'invasion du Liban par Israël durant l'été 1982, qui a forcé la direction de l'OLP à trouver refuge à Tunis, Darwich reprend la route de l'exil : Le Caire, Tunis puis Paris. En 1993, il démissionne de l'OLP pour protester contre les accords d'Oslo, estimant qu'ils n'apporteront pas une «paix juste» pour les Palestiniens. Le poète se rend en 1995 dans la bande de Ghaza après l'avènement de l'Autorité palestinienne, avant de s'installer à Ramallah, en Cisjordanie. En mai 1996, il est autorisé à fouler le sol d'Israël pour la première fois depuis son exil afin d'assister aux funérailles de l'écrivain arabe israélien Emile Habibi. Au Festival des musiques du monde à Arles (sud-est de la France) en juillet dernier, il a avoué qu'il préférait les thèmes universels de l'amour, la vie, la mort à ceux purement politiques de ses débuts et vouloir être lu «comme un poète», «pas comme une cause». Pourtant, la cause lui collait à la peau, au cœur et à la moelle et ne pouvait s'en détacher car il en était le produit. Darwich a souffert de l'exil et du mal du pays. Il en a fait les thèmes favoris de sa poésie riche et variée tout comme les mouettes de Haïfa, les oliveraies de Galilée, les fleurs et les arômes des plaines et des montagnes de Palestine qu'il portait dans ses bagages. Ne disait-il pas : «Ma valise est ma patrie et ma patrie est ma valise.» Au-delà du thème majeur de Darwich qu'est la Palestine, il a fustigé le laxisme et la soumission arabe face à Israël et à son allié Washington, notamment dans son chef-d'œuvre Eloge à l'ombre suprême qu'il avait déclamé pour la première fois à Alger en 1982 et où il disait : «Des Arabes qui ont vendu leur âme, des Arabes qui ont obéi à leur Rome, des Arabes qui sont perdus.» A. G.