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Magtaa Kheïra, un abattoir pas comme les autres
Dépourvu de toutes conditions d'hygiène et de propreté
Publié dans La Tribune le 16 - 08 - 2010


Photo : M. Hacène
Reportage réalisé par Salah Benreguia
Magtaa Kheïra. Ce lieu réputé pour être un marché de la dinde par excellence mérite de figurer dans le livre de Guinness des insolites. Non par la qualité ou le prix pratiqué, mais pour son côté paradoxal, voire phénoménal. En effet, des pratiques d'abattage d'un autre âge, des conditions d'hygiène et de propreté quasi inexistantes et surtout des milliers de clients par jour font de ce «marché» un lieu de vente des plus connus dans la capitale, voire dans tout l'Algérois. Jugez-en. Situé juste à la sortie du chef-lieu de Douaouda, l'abattoir Magtaa Kheïra (le passage de Kheïra) est loin de répondre aux normes fixées par le ministère de l'Agriculture. Et pourtant, sous l'œil bienveillant des autorités communales, cet abattoir est géré par un «délégué» désigné par l'APC de Douaouda. «Bienvenue dans l'abattoir communal de Dick Eroumi [de la dinde] de Douaouda», peut-on lire sur la pancarte fixée juste au-dessus du portail. Mardi dernier. 6 heures du matin. Les premiers véhicules, probablement de potentiels acheteurs, commencent à se garer devant le portail de cet abattoir. Quelques minutes après l'ouverture, les premiers dindons y sont exposés. Là, l'envie d'acheter de la viande disparaît soudainement. Et pour cause : des têtes sanguinolentes et des amas d'abats jonchent le sol au milieu des rejets fécaux des bêtes abattues. Une odeur exécrable monte aux narines. Décor morbide à même d'incommoder la plus coriace des personnes. Pis, des pièces d'abats et de foie côtoient les détritus des animaux… A voir ce spectacle affligeant, il y a de quoi se reconvertir en végétarien…
oserions-nous dire. Les employés de l'abattoir, chargés de l'entretien, ne voient pas les choses sous cet angle. Pour eux, la preuve de la bonne qualité offerte vient de ce flux de clients qui ne cesse de croître et de se renouveler. Avec une maîtrise instinctive des techniques de l'abattage, ces spécialistes, qui ont visiblement commencé dès leur jeune âge, dominent les pratiques, enjeux et connaissent même les tendances. Ils n'ignorent rien non plus des prix pratiqués dans des endroits légaux. Hélas, dans cette affaire-là, l'Etat apparaît comme une victime consentante. Le grand dupe qui se fait gruger à «l'insu de son plein gré». Impuissant qu'il est à connaître les acteurs de ce marché noir qui fonctionne comme une zone grise de non-droit. En effet, comment expliquer que les différents services de contrôle ainsi que les services de sécurité n'aient pu «purifier» ces lieux, laissant ainsi ces maquignons et égorgeurs de toute sorte accomplir leurs forfaits devant une route dont le flux en automobiles est très important ?Des prix acceptables
mais pas imbattablesConcernant les prix affichés, la fourchette n'est guère importante par rapport aux autres bouchers de la capitale. Les prix fluctuent en fonction des jours et des conjonctures. «Tout dépend», nous résume Kamel, un dindon plumé à la main et une épée dans l'autre. A l'instar de Kamel, les autres personnes interrogées estiment que les prix de vente varient en fonction des prix d'achat chez les éleveurs. Et la marge bénéficiaire ne dépasse pas un seuil fixé tacitement à l'avance. Toutefois, ces virtuoses de l'abattage clandestin savent attendre dans un marché calme et anticipent judicieusement dans un marché agité. Comme c'est le cas actuellement du mois sacré. Les clients venus s'approvisionner jettent un coup d'œil scrutateur sur la marchandise avant de passer à la «pesée». Des liasses de billets circulent. Les transactions sont conclues en deux temps, trois mouvements. La dinde plumée uniquement est cédée à 350 kg, alors que le kg de l'escalope de cette viande blanche est fixé à 600 DA. Soit près de 150 DA de moins que chez les autres bouchers du coin. Ces prix, nous a indiqué un restaurateur venu s'approvisionner, sont légèrement au-dessus de ceux pratiqués durant les autres mois. Car, explique-t-il, le mois de Ramadhan est une période propice aux gains faciles. «C'est devenu un rite immuable. Les prix augmentent à la veille de chaque mois sacré», ajoute la même source. A l'extérieur de cet abattoir, des centaines de dindons vivants sont regroupés dans un espace clôturé. En attendant de passer par la lame… Des abattoirs à ciel ouvertNotre virée matinale à Magtaa Kheïra est riche en surprises. Après le constat désolant de l'abattoir avicole appartenant à la commune de Douaouda, un autre type d'abattage et de vente de viande rouge, précisément bovine, se constate à quelques centaines de mètres de là. Le spectacle est des plus macabres. En effet, sur le bord des routes, de la viande bovine, tenez-vous bien, est exposée à ciel ouvert. Et du cou de ces bêtes, fraîchement égorgées, coule du sang qui inonde le sol. Le tout dans une odeur nauséabonde à vous faire vomir. Dans ce «marché», les vendeurs ne disposent que de fûts rouillés en guise de table. Exposée en plein air, cette surface est noire de moustiques et de mouches. A la question de savoir pourquoi ils se servent d'arbres pour étendre les bêtes pendant des heures, la seule réponse qui revient tel un leitmotiv est la suivante, toutefois sur un air un peu menaçant : «Vous êtes ici pour acheter ou pour enquêter ? Soyez comme les autres, achetez et taisez-vous. Nos clients achètent sans même demander pourquoi…» Cette viande, non enveloppée, est cédée à 800 DA.«Silence, ici on égorge…»Vouloir prendre attache pour davantage d'explications avec ces adolescents employés dans l'abattoir clandestin de Magtaa Kheïra n'est pas une sinécure. En effet, ces derniers, au nombre d'une quarantaine, «emprisonnés» dans une pièce qui ne comporte que de petites ouvertures, hésitent, voire ont peur de discuter avec les «étrangers». Pourquoi ? Ils risquent d'être «licenciés» si une information sur leurs modes d'emploi est rendue publique. «Nos employeurs n'aiment pas qu'on parle de ça», nous a fait savoir Mohamed, un adolescent. Ce dernier, faisant semblant d'évoquer les prix, nous a indiqué qu'ils sont payés par pièce. «On est payé 30 DA la pièce. Je travaille depuis au moins trois ans, et je gagne bien ma vie», a-t-il ajouté. Prié de nous donner des explications sur l'absence de tabliers et de gants ainsi que de papier d'emballage pour servir la viande et même d'espace propre pour pouvoir abattre les animaux, il a eu cette réponse : «Ici on égorge, on plume et on vend seulement…»


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