Entretien réalisé par Amel Bouakba La Tribune : Quelques années après le scandale des enfants circoncis et «mutilés» d'El Khroub, la hantise des circoncisions collectives est-elle toujours présente ? Dr Oulmane Djamel Eddine : Vous faites bien de rappeler le drame d'El Khroub. Je crois que cette hantise est présente chez de nombreux praticiens car ils sont conscients que, malgré tout leur professionnalisme et toute leur volonté de bien faire leur travail, la pression sociale des circoncisions collectives du 27ème jour du mois de Ramadhan augmente les risques de complications. La séance de circoncisions collectives peut se transformer en une série de gestes faits à la chaîne plus risqués que des gestes faits à un rythme adapté et qui donnent le temps de travailler en toute tranquillité… En effet, en une seule journée plusieurs dizaines de milliers d'enfants sont dirigés par leurs parents et parfois par des institutions (APC, associations…) vers les structures de santé pour des circoncisions en groupe. Cette pression du nombre élevé de la demande en un laps de temps court peut poser problème et entraîner une charge de travail exceptionnelle pour les chirurgiens appelés à pratiquer cet acte. Il faut savoir que, chaque année, ce sont quelque 200 000 à 300 000 enfants à être concernés par la circoncision. Et de nombreuses familles choisissent la date du 27ème jour du Ramadhan pour cet acte, respectant une ancestrale tradition qui me semble dépassée. Je suis persuadé que la circoncision peut se faire tranquillement, à l'aise et dans de très bonnes conditions tout au long de l'année, ce qui permet de minimiser au maximum les risques pour nos enfants. Quels sont les risques des circoncisions collectives ? En fait, il y en a beaucoup. Je peux vous citer quelques complications de la circoncision dont le pourcentage (donc le nombre) augmente durant les circoncisions collectives. Il s'agit, entre autres, d'hémorragies, d'infections, de déchirures, d'amputation partielle ou totale du gland, de nécrose du gland, de gangrène, de dénudation du pénis, de coudure du pénis, de perte de sensibilité du pénis, de trouble de l'érection. Certaines de ces complications peuvent hypothéquer la vie sexuelle de la personne avec ce que cela sous-entend comme atteinte physique, psychique et sociale… Ce geste chirurgical n'est donc pas anodin. Quelles sont les conditions d'hygiène et de sécurité qui doivent être réunies ? Parmi les conditions à respecter pour une circoncision à moindres risques, il y a d'abord le personnel chargé d'accomplir ce geste. Selon, le ministère de la Santé, seuls les chirurgiens ont le droit de pratiquer la circoncision. Bien entendu, le chirurgien peut être assisté par des praticiens et un personnel paramédical, mais le geste lui-même de la circoncision est de l'exclusivité du chirurgien. Une autre condition exigée est celle de l'hygiène du personnel, du matériel, du plateau technique et de l'environnement (local) dans lequel ce geste doit être réalisé. Tout cela doit se faire avec des précautions de stérilisation strictes. Enfin, et c'est l'idéal, une préparation psychologique de l'enfant est souhaitable à l'opposé de l'atmosphère traumatisante des circoncisions de groupe durant lesquelles les enfants sont soumis à un spectacle plus proche de la boucherie que de celui d'un acte paisible de petite chirurgie. La circulaire du ministère de la Santé qui dit que «seuls les chirurgiens sont habilités à pratiquer une circoncision» est-elle appliquée ? Le ministère de Santé a émis, en juin 2006, une instruction qui stipule que la circoncision est exclusivement du ressort des chirurgiens, aussi bien pour le secteur public que pour le secteur privé. Cette instruction est venue pour prévenir d'éventuels accidents ou complications liées à la circoncision. Ce texte est clair et vise à réduire au maximum les risques de la circoncision. Il a également un rôle de protection supplémentaire des enfants. Je pense que cette instruction est globalement respectée, je dis bien globalement car nous savons tous qu'il y a encore et malheureusement des cas de circoncisions faites par des personnes qui ne répondent pas aux critères de cette instruction. C'est dommage car, chaque année pendant et après le 27ème jour de Ramadhan, nous enregistrons un important flux de complications de circoncisions auprès des structures de santé avec des parents désespérés et des enfants qui peuvent traîner un grave problème d'ordre sexuel à vie. Un autre commentaire pour la fin ? La pratique de la circoncision par une personne autre qu'un chirurgien est encore une anomalie qui tente de se perpétuer et qui, je l'espère, aura tendance à disparaître si les institutions (APC, associations…) et surtout les citoyens font preuve de vigilance et de bon sens en pensant d'abord à mieux protéger les enfants. Je lance un appel et j'invite donc les parents à faire en sorte qu'il n'y ait pas autant de demandes concentrées en une seule journée mais plutôt d'étaler les circoncisions tout au long de l'année, et ce, pour ne pas gêner les chirurgiens et leur permettre de faire leur travail dans de meilleures conditions dans l'intérêt de leurs enfants. Il faut que tous les parents sachent que la circoncision est un acte chirurgical, loin d'être banal, qui doit se pratiquer dans un environnement adéquat. Rien ne justifie donc que des enfants soient exposés à des risques énormes.