Le désert ronge les terres fertiles au Sahel depuis des décennies. Pour enrayer son avancée, onze pays africains s'unissent pour édifier une «grande muraille verte». Initié en 2005, ce vaste projet vise à reboiser une bande de 15 km de large sur 7 000 km de long, de Dakar à Djibouti.Pour optimiser les performances de ce mur de verdure, une communauté d'experts internationaux, dont des chercheurs de l'IRD, est mobilisée. Objectifs : choisir les techniques de revégétalisation et les espèces les plus adaptées. En ce sens, les experts mettent entre autres l'accent sur un phénomène naturel, présent chez la plupart des espèces végétales : la symbiose entre la plante et un champignon. Favoriser ce processus améliorerait, en effet, la croissance des plants dans les sols dégradés et augmenterait leur résistance à la sécheresse. Par ailleurs, parmi les différentes essences qui seront utilisées, un arbre aux qualités remarquables est préconisé (3) : le filao, capable de fixer l'azote de l'air et de coloniser ainsi des terres appauvries. Reste à déterminer comment intégrer ce projet dans un milieu déjà exploité et permettre aux habitants d'en retirer les bénéfices.Au Sahel, sous l'effet des changements climatiques conjugués à une exploitation agricole intense due à la pression démographique, la zone forestière régresse. Ce déboisement entraîne une dégradation des sols et une désertification quasi inexorables. Aujourd'hui, les deux tiers de l'Afrique sont devenus désertiques ou fortement dégradés.En réponse à ce fléau, onze pays africains ont initié, dès 2005, un projet d'envergure continentale, piloté par l'Union africaine : la grande muraille verte. Telle une ligne de résistance pour contrer la progression du désert, ce mur de verdure de 15 km de large sera édifié de Dakar à Djibouti, soit 7 000 km de long. Pour sa mise en œuvre, un comité de spécialistes des arbres et des milieux arides, dont des scientifiques de l'IRD, a été sollicité. Ils doivent déterminer les techniques les plus appropriées et choisir les espèces les plus adaptées au contexte sahélien (résistance à la sécheresse, capacité de se développer dans des sols carencés en nutriments, réhabilitation de la fertilité, etc.) afin d'optimiser les performances des opérations de reboisement.Pour reconquérir les milieux dégradés, les scientifiques de l'IRD et leurs partenaires recommandent, notamment, l'exploitation d'un phénomène naturel, vieux de 400 millions d'années et présent aujourd'hui chez plus de 80% des espèces végétales : l'association entre une plante et un champignon, appelée symbiose mycorhizienne. Le champignon joue un rôle primordial pour la nutrition hydrique et minérale de la plante hôte. En effet, il prélève et transporte vers cette dernière des éléments nutritifs très peu mobiles dans le sol, principalement le phosphore. Deux voies biotechnologiques sont envisageables : l'introduction en masse d'une souche fongique performante (on parle de mycorhization contrôlée) ou l'utilisation de plantes dites facilitatrices, ou «nurses», qui vont augmenter le potentiel mycorhizien du sol. Les chercheurs ont, en effet, montré, lors d'études menées au Sénégal et au Maroc, que ces pratiques améliorent la pousse des plantes dans les sols carencés en nutriments et en milieu aride : mortalité des plants diminuée, croissance en hauteur significativement plus élevée, meilleure croissance racinaire, utilisation des ressources en eau optimisée et donc meilleure résistance au stress hydrique. Il n'existe actuellement que très peu d'études sur ces biotechnologies en conditions réelles, en particulier dans les régions arides et semi-arides.Autre objectif : les plantes sélectionnées pour la grande muraille verte, locales ou importées, doivent faire preuve d'une faculté d'adaptation au milieu sahélien et posséder des qualités écologiques appropriées à la lutte contre la désertification. Parmi les essences qui seront utilisées, les experts préconisent notamment l'arbre tropical casuarina, plus connu sous le nom de filao. Ce dernier a, en effet, acquis au cours de son évolution des qualités remarquables qui lui permettent de pallier les carences des sols dégradés et de les revégétaliser : c'est un arbre dit pionnier, c'est-à-dire capable de coloniser des sols très pauvres en éléments minéraux. Il doit cette faculté exceptionnelle à une association symbiotique avec une bactérie, appelée frankia, contenue dans le sol. Celle-ci offre à l'arbre la capacité unique de fixer l'azote de l'air, quand cet élément essentiel manque dans le sol. Pour cela, la bactérie forme sur les racines du filao des organes spécialisés, appelés nodules, capables de transformer l'azote atmosphérique en ammonium, directement assimilable par la plante.Pour comprendre comment cet arbre s'adapte aux sols carencés et modifie l'architecture de son système racinaire, une équipe de recherche tente de décrypter les mécanismes moléculaires qui gouvernent la formation et le fonctionnement des nodules racinaires fixateurs d'azote. Ils ont ainsi caractérisé un des gènes indispensables à la symbiose entre le filao et frankia. Originaire d'Australie, le filao est surnommé «arbre de fer», pour la dureté de son bois. Il est d'ores et déjà employé dans diverses régions du monde pour la production de biomasse et de bois de chauffage, pour la restauration de la fertilité des sols et pour la lutte antiérosive.Ces travaux montrent l'intérêt de valoriser, dans le cadre de la grande muraille verte, la symbiose mycorhizienne et les espèces, telles que le filao, adaptées au contexte sahélien. La communauté d'experts doit désormais établir les modalités d'intégration de ce faramineux projet dans un milieu déjà occupé et exploité. Pour cela, les techniques de reboisement préconisées doivent être compatibles avec les usages et pratiques en vigueur dans les pays traversés et les espèces choisies doivent pouvoir être valorisées par les économies locales concernées.